La marchandisation de la sociabilité
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Date: 21 avril 2015Auteur: Daniel Nadeau
Dans mon dernier billet, je vous entretenais de la société en réseaux et des profondes transformations de notre société par l’avènement du Web 2.0. L’une des caractéristiques fondamentales de cette transformation radicale du monde dans lequel nous vivons est la marchandisation de la sociabilité.
L’avènement du Web 2.0 est la manifestation la plus tangible de l’incorporation d’Internet dans la vie quotidienne des gens. Ce que fait le Web 2.0 c’est qu’il s’appuie sur le besoin qu’ont les humains d’établir des liens entre eux pour créer un usage massif du Web. Au-delà de se servir de cet outil pour acheter des biens et des services, comme nous le propose Amazon par exemple, on se sert surtout d’Internet pour créer des liens avec les autres dans le cadre d’une conversation. Cela peut même, dans certains cas, créer une dépendance de l’usager qui a soif de la reconnaissance d’autrui.
Le génie, si le mot n’est pas trop fort, des architectes des médias sociaux comme Facebook, Twitter, Instagram ou Google + c’est d’avoir su miser sur ce besoin atavique des humains d’obtenir la reconnaissance des autres. C’est ainsi que sont nés les réseaux sociaux qui misent sur l’humain comme pilier de leur formule d’affaires.
L’auteure Astra Taylor, une militante et documentariste canadienne et américaine, a bien saisi le phénomène : « Contrairement aux anciennes start-ups, dont l’activité reposait sur la vente de biens, ces entreprises misent sur la sociabilité des gens, leurs préférences et leurs désirs, leurs observations et leur curiosité, leurs relations et leurs réseaux, qu’elles analysent, exploitent et monnaient. Autrement dit, le Web 2.0 ne propose pas à ses usagers d’acheter les produits; ses usagers en sont le produit. » (Astra Taylor, Democratie.com. Pouvoir, culture, résistance à l’ère des géants de la Silicon Valley, Montréal, Lux éditeur, 2014, p. 22)
Pour la première fois de l’histoire humaine, on a réussi à marchander l’une des plus vieilles activités humaines, un art pour plusieurs, celui de la conversation. Ainsi, l’art de la conversation a été commercialisé. C’est pourquoi, comme nous le rappelle avec justesse Astra Taylor, « avec le Web 2.0, ce n’est plus le contenu qui est roi, mais les relations se plaisent à dire les gourous du numérique. » (Astra Taylor, p. 22)
La logique du Web 2.0 a non seulement investi les réseaux sociaux, mais elle s’est étendue à l’ensemble de la sphère culturelle, du journalisme, à la musique, le cinéma, la télévision et le sport.
Ces mutations structurelles ne sont pas sans conséquence dans nos façons de produire et de consommer. Par exemple, dans le domaine culturel, des entreprises traditionnelles doivent se réinventer pour survivre. Pensons aux librairies, aux disquaires et aux clubs vidéo indépendants pour n’en citer que quelques exemples. Le monde des médias est aussi sollicité par ces transformations. C’est ce qui explique la disparition de nombreux imprimés et l’apparition de nouveaux véhicules d’information comme les Webzines ou encore par la transformation de vieux modèles d’affaires comme celui de La Presse en La Presse+.
Comme l’avait prédit Manuel Castells, cette révolution de l’ère des réseaux change de façon notable notre vie. Cela ne signifie pas pour autant qu’un monde sombre et qu’un nouveau apparaît. La question urgente demeure cependant celle-ci : Sommes-nous capables d’en saisir le sens et d’en mesurer les retombées concrètes dans nos vies?