Citoyens 2.0

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Date: 1 mai 2015
Auteur: Daniel Nadeau

Le 10 septembre 2014 dernier, j’ai écrit une chronique dans le journal internet EstriePlus sur l’impact du Web 2.0 sur les citoyens. J’ai trouvé à-propos de publier à nouveau cette chronique cette semaine dans le cadre de mon billet quotidien du blogue de Nadeau Bellavance. Pour celles et ceux que mes chroniques peuvent intéresser, vous pouvez me lire tous les mercredis dans le journal Internet EstriePlus.
Bonne lecture!

Il ne se passe plus une journée dans l’actualité sans que les citoyennes et les citoyens soient aux premières loges des bulletins d’information.
Un projet résidentiel qui fait des mécontents, un projet d’expansion industrielle qui est remis en cause, un projet qui provoque des inquiétudes de nature environnementale ou encore des citoyens qui réclament une action énergique du gouvernement pour interdire quelque chose et tutti quanti!citoyen 2.0
À l’ère du citoyen 2.0 et des réseaux sociaux, le règne des communications instantanées fait et défait des réputations, des projets. On a l’opinion aussi facile que l’on avait la gâchette facile aux temps héroïques du far-west américain. Le tribunal de l’opinion publique est plus intransigeant que jamais et les sentences qu’il prononce sont de moins en moins documentées. Plongée dans le monde citoyen 2.0…

Un public éduqué et critique
Que l’on me comprenne bien, je ne suis pas contre l’implication citoyenne. Bien au contraire! Le temps où les décisions qui nous concernent étaient prises dans des lieux secrets à l’abri de la critique citoyenne est bel et bien révolu. De nos jours, il faut prendre les décisions collectives dans des processus transparents et qui permettent l’expression des opinions diversifiées. La population est aujourd’hui plus éduquée et plus critique et elle a le droit d’exiger d’être pleinement informée des enjeux qui viennent baliser la vie de tout un chacun. Mais tout cela ne peut et ne doit pas mener à la paralysie collective et à l’immobilisme.

La conversation publique
De nos jours, tous les dirigeants d’organismes publics ou privés doivent faire place à la conversation publique dans leur processus de prise de décision. Bien souvent, cela améliore les projets et garantit une plus grande acceptabilité sociale. Selon le philosophe allemand, Jurgen Habermas, la conversation publique bien dirigée par des esprits libres et indépendants conduit à la poursuite du bien commun. Bien que des intérêts contradictoires peuvent parfois s’opposer, il n’est pas rare que l’on puisse voir des opposants d’hier à un projet en arriver à une entente.
Pour que la conversation publique puisse être utile au bien commun, il faut cependant en baliser les termes et informer les gens des enjeux qui sont soulevés. Cela demande de la transparence, de l’honnêteté et de la bonne foi de la part de tous les intervenants. Lorsque de telles conditions sont réunies, le succès de la conversation publique est un gage de succès pour les enjeux discutés.

Les pièges du citoyen tout puissant
Néanmoins, on ne peut garantir le succès d’une conversation publique si l’on accorde aux citoyens le rôle du Dieu tout puissant. Dans un projet de développement résidentiel par exemple, il est possible que les intérêts d’un petit nombre de citoyens ne soient pas garants de l’intérêt général. Prenons le projet de l’école primaire de l’Île des sœurs. Projet qui a fait beaucoup de bruits. Des citoyennes et des citoyens se sont opposés au nom de leur tranquillité à la construction d’une nouvelle école primaire dans leur quartier. Dans ce cas, l’intérêt d’un petit nombre semblait aller à l’encontre de l’intérêt général. Quoi de plus normal que de donner la possibilité de voir leurs enfants aller à l’école à pieds? N’est-ce pas là des conditions gagnantes pour la vie des jeunes familles? Des conditions d’une vie bonne et de qualité? Éviter que de jeunes enfants d’âge scolaire au primaire fassent une heure d’autobus pour aller à l’école semble militer pour une meilleure qualité de vie des familles. Je pourrais donner de nombreux autres exemples. Je crois cependant que vous en comprenez le sens.
Les citoyens n’ont pas toujours raison et ils ont eux aussi des intérêts. Dans notre société, nous nous sommes dotés d’institutions démocratiques et nous y élisons des représentants élus pour faire les arbitrages nécessaires afin d’atteindre le bien commun. Ces élus doivent assumer leurs responsabilités et non pas se faire les chantres de la parole citoyenne toute puissante. Il y a une différence entre constater la rupture de notre société avec une culture des élites et celle de voir nos élus démissionner de leurs responsabilités d’être les arbitres de nos débats. Il faut éviter de tomber dans le guêpier du citoyen omniscient. Dans un débat sur le danger relatif que pose la vieillesse d’une infrastructure quant à son effondrement, j’aime mieux encore l’opinion d’un ingénieur à celui du président d’un groupe de pression. Je préfère aussi l’opinion d’un scientifique sur le danger du réchauffement climatique causé par le CO2 à celui d’un groupe écologiste aussi bien intentionné soit-il…

Le tribunal de l’opinion publique
Aujourd’hui alors que nous vivons à l’ère des communications instantanées et des opinions rapidement formées, le tribunal de l’opinion publique est plus dur que jamais. Une rumeur, une allégation lancée à une commission d’enquête, par exemple, par un témoin accusé au criminel et votre vie peut changer. Je fais bien sûr ici allusion aux allégations de monsieur Tony Accurso à l’endroit de Jacques Duscheneau. Le temps de le dire, nous débattons de la question. Est-ce vrai? Qui a raison? Êtes-vous surpris? Un vrai cirque médiatique… Ce qui est vrai dans ce cas est vrai dans bien des aspects de nos vies. Tout est amplifié par les médias qui en redemandent toujours plus lorsqu’il est question de spectaculaire.
Nous sommes à l’ère des opinions jetables. Nous opinons tous sur tout et rien. Tout un chacun avons des convictions fragiles qui reposent sur la base d’informations fragmentaires et s’appuyant trop souvent sur des assises très peu solides. Il serait important que nos débats fassent moins de place au spectacle et laisse plus d’espace à la réflexion sur des faits.

Le nouveau citoyen
Si l’on souhaite vraiment vivre pleinement l’ère 2.0 en tant que citoyen, nous devons faire place à une réelle conversation publique où les principes de bonne foi, de transparence et de l’expression d’opinions diversifiées. Nos représentants élus doivent aussi assumer pleinement leur rôle d’arbitre de nos débats. Nous devons nous méfier des opinions « formatées » et au goût du jour pour chercher à comprendre la complexité des enjeux qui sont soumis à notre attention. C’est la seule façon que nous avons pour devenir de véritables citoyens 2.0…

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