Notre vie est une histoire
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Date: 8 mai 2015Auteur: Daniel Nadeau
La littérature depuis des lustres nous raconte des histoires. Des histoires qui mettent en action des vies comme la nôtre ou des destins extraordinaires d’autres humains comme nous. Dans mes billets, cette semaine, je vous ai raconté comment le «storytelling» et le pouvoir des émotions occupaient une place grandissante dans nos vies. J’ai pensé reproduire dans le cadre de ce blogue une chronique que j’ai écrite l’été dernier dans le journal Internet EstriePlus qui parlait du lien entre la littérature et les histoires de nos vies. Une petite pause d’émotions pour le weekend. Je vous reviens mardi prochain avec la suite de ma réflexion sur le «storytelling» Texte remanié d’une chronique écrite le 6 août dernier et parue dans EstriePlus.
L’art du roman
Jean-Paul Sartre a écrit que : « L’écrivain a choisi de dévoiler le monde et singulièrement l’homme aux autres hommes pour que ceux-ci prennent en face de l’objet mis à nu leur entière responsabilité. La fonction de l’écrivain est de faire en sorte que nul ne puisse ignorer le monde et que nul ne puisse se dire innocent » (situations II – tiré du texte d’opinion d’Éric Corneillier « Au cœur de l’été, la guerre… 1914-2014 », Le Devoir, samedi 2 août 2014 p. B4).
Ce qui fait la force d’un romancier c’est sa capacité à aller au fond des choses par le biais des points de vue de ses personnages. C’est pourquoi comme l’écrit Éric Corneillier : « l’art du roman, le vrai, ne relève pas d’une technique du divertissement. Il relève plutôt d’un approfondissement de notre compréhension de l’existence dans ses multiples déclinaisons possibles. » (Le Devoir samedi, 2 août 2014 p. B4). En fait, la force de la littérature c’est qu’elle nous raconte des histoires de vie. Des vies possibles d’autrui ou encore des tranches de nos propres vies.
Vie et littérature : histoire de vies…
La vie est cependant encore plus riche que la littérature. Le point de vue des uns et des autres sur ce que nous vivons collectivement est encore plus romancé qu’un roman. Nos histoires de vie personnelle fondent notre compréhension au monde et notre rapport aux autres. Plus une personne est soumise à des histoires de vies, plus elle sera susceptible d’adopter des points de vue nuancés ou faire preuve d’une plus grande ouverture aux histoires des vies autres que la sienne. La littérature et le roman nous racontent des histoires qui aident à une meilleure compréhension du monde et comme le disait si bien Sartre de façon à ce que personne ne puisse se dire ignorant du monde dans lequel nous vivons…
Les Jacarandas de Téhéran
L’actualité donne prise à de nombreuses histoires d’horreur. Nous n’avons qu’à penser au sort réservé aux Palestiniens par l’État d’Israël ces jours-ci pour nous en convaincre. Si tous les dirigeants de l’État d’Israël lisaient le roman de l’Iranienne Sahar Delijani « Les Jacarandas de Téhéran », ils pourraient mieux comprendre les espoirs des musulmans déçus par des révolutions détournées au profit des mollahs au mépris de leurs libertés. Se mettre dans les chaussures de l’Autre avant de porter un jugement comme le répétait souvent mon grand-père est une bonne façon de se libérer de ses préjugés et de ses démons. Les histoires de vies de ces Iraniennes et Iraniens persécutés par l’État iranien dans la version que nous donnent les personnages mis en scène par Délijani a de quoi faire réfléchir quiconque revendique un peu d’humanité.
Lire un tel roman avec en filigrane la grave crise palestinienne et des crimes commis par l’État d’Israël contre des civils palestiniens, femmes et enfants, a de quoi remuer nos sentiments et nous amener à être critique de la position de notre gouvernement quant à la question de la Palestine et de l’État juif. Voilà un bel exemple qui lie la littérature à notre vie actuelle.
Notre-Dame du Nil
Ce qui est vrai pour le roman de Delijani est aussi vrai pour le roman de Scholastique Mukasonga : « Notre dame du Nil » qui raconte l’histoire de jeunes filles africaines que l’on prépare à leur vie de femme soumise et où l’on sent bien poindre le génocide à venir au Rwanda. L’histoire de ce roman traite d’un lycée perché sur la crête Congo-Nil au Rwanda et réunit des jeunes filles dont les familles espèrent qu’elles parviendront vierges au mariage négocié pour elles dans l’intérêt du lignage. Prélude au génocide, le huis clos, où doivent vivre des lycéennes encerclées par les nervis du pouvoir hutu, fonctionne comme un microcosme existentiel. De quoi faire réfléchir au sort de ces jeunes Africaines enlevées par Boko Haram au Cameroun.
C’est pour dire que la littérature est plus vraie que nature et elle offre un potentiel à celle ou celui qui s’y prête à mieux comprendre et à mieux réfléchir le monde dans lequel nous vivons. J’ai pris des exemples lointains, mais j’aurais aussi pu parler de choses plus près de nous comme le roman de Claudine Bourbonnais Métis Beach qui parle d’Exil, de riches et de pauvres et de notre rapport à l’Amérique et à l’argent.
Se raconter grâce à la littérature…
La littérature nourrit parce qu’elle nous raconte des histoires de vies… En fait elle raconte l’histoire de nos vies. Notre vie est donc une histoire à raconter et à partager. C’est pourquoi il est important de lire et de s’adonner à la littérature afin de pouvoir se faire raconter notre vie en histoires… Pensez-y lorsque vous ouvrirez votre prochain roman et demandez-vous de quelle vie parle ce récit. Il est à parier que vous y retrouverez la vôtre…