L’affaire Bugingo
--
Date: 26 mai 2015Auteur: Daniel Nadeau
Le dernier scandale maison est connu sous le nom de l’affaire Bugingo. Tous les médias avec lesquels François Bugingo collaborait se sont dissociés de lui. François Bugingo est un journaliste (???) québécois né au Congo d’origine rwandaise. Modèle d’intégration, Bugingo était de toutes les tribunes où se discutaient les grands conflits internationaux et il a collaboré avec presque tous les médias importants au Québec. TVA, Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec, 98,5 MF. Il a même animé une émission à Ici Radio Canada le temps d’une saison d’été.
De quoi est accusé ce monsieur Bugingo? Tout simplement d’avoir inventé de toutes pièces des reportages qu’il a par la suite vendus à des médias. On est au cœur ici du propos que je vous tiens dans mes billets sur ce blogue depuis quelques mois sur la question centrale du pouvoir de l’imagination et du pouvoir de raconter.
Je vous disais, il y a peu de temps dans un billet ici, que j’avais de la difficulté avec le concept de « storytelling » qui envahissait de plus en plus le monde des relations publiques. À cet égard, j’avais affirmé qu’il fallait faire une distinction nette entre le fait de raconter des faits comme une bonne histoire et celui de raconter des histoires. Quand j’écrivais cela, je n’avais jamais songé que cela pouvait s’appliquer au monde du journalisme de reportage.
Bien sûr, tout comme vous, je suis informé de cas célèbres comme celui de Jayson Blair au New York Times qui avait inventé de toutes pièces des reportages terrains. Le scandale fut dévoilé en 2003. Et la Direction du New York Times a qualifié « d’épisode le plus affligeant des 152 ans d’histoire du journal ». Des centaines de reportages « sur le terrain » sont ainsi signés par le journaliste, alors même qu’il n’y avait jamais mis les pieds. Blair réalisait ses reportages sur l’Irak en compilant les versions numériques d’autres revues dont les reporters s’étaient rendus sur les points chauds. Le « scoop » des deux snipers de Washington rapporté par le NYT et immédiatement repris par d’autres médias a également été collé à partir de reportages d’autres collègues.
Dans l’affaire Bugingo, il y a beaucoup de similitudes avec l’affaire Jayson Blair. Il faut cependant attendre la défense que promet François Bugingo. Le fait qu’il n’a pas tout nié et que ces accusations proviennent d’une enquête sérieuse de la journaliste Isabelle Hachey de La Presse laisse cependant peu de place à la présomption d’innocence dans ce cas.
Quoi qu’il en soit, l’affaire Bugingo n’est que la démonstration claire et nette que nous vivons plus que jamais dans un monde où l’on nous raconte des histoires pour attirer notre attention et que cela est une bonne façon pour obtenir du succès. Il faudrait néanmoins que l’on ne délaisse pas la proie pour l’ombre et que sans nier la responsabilité ultime de François Bugingo, on n’oublie pas les failles de l’éthique des médias qui l’ont employé. Cela met en lumière le fait qu’il n’existe aucun moyen de vérification du travail d’un journaliste qui nous est par la suite présenté comme l’une des vérités de ce monde. Cela fait aussi la preuve du peu d’intérêt des médias et de leurs lecteurs pour l’actualité internationale. Dans un monde médiatique où l’on poursuit plus les profits que les faits et où la convergence et la compétition sont les dieux du moment, une chose est certaine il y aura d’autres affaires Bugingo…