Infodivertissement, la politique branchée
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Date: 26 juin 2015Auteur: Daniel Nadeau
Mon billet d’hier insistait sur l’importance du contenu en matière de communication et de relations publiques. Ce matin je republie un texte publié initialement chez EstriePlus le 12 février 2014 pendant les Jeux Olympiques de Sotchi et qui fait état de l’infodivertissement, un obstacle à une véritable information et à une vraie discussion démocratique.
Bonne lecture!
L’émission Tout le monde en parle à Ici Radio-Canada Télé est l’une des seules qui ne fait pas relâche durant la présentation des Jeux olympiques d’hiver de Sotchi 2014.
Déjà à sa dixième saison, la première diffusion a eu lieu en 2004, ce talk-show animé par Guy A. Lepage et son fidèle acolyte Dany Turcotte a profondément transformé l’offre télévisuelle de nos dimanches soirs et est venu consacrer le triomphe de l’infodivertissement au détriment de l’information. Cela est encore plus vrai dans le domaine de la politique. Le politologue Frédérick Bastien de l’Université de Montréal qui a consacré une thèse de doctorat à l’infodivertissement et la politique vient tout juste de publier un livre sur le sujet aux Presses de l’Université Laval. Qu’en est-il de l’infodivertissement et de la politique chez nous au Québec?
Infodivertissement?
Ce que l’on nomme infodivertissement n’est rien d’autre que le mélange des genres entre l’information et le divertissement. Ce type d’émission dont le meilleur archétype est l’émission Tout le monde en parle a commencé à s’imposer dans la programmation de nos diffuseurs télé depuis les années 1980. À partir de ce moment, les bulletins de nouvelles et les émissions d’affaires publiques ne sont plus les seuls lieux où l’information et la politique sont présentées. L’infodivertissement fait le bonheur des politiciens qui font le circuit des talk-shows. Les intellectuels et les journalistes ont fortement décrié ce nouveau genre télévisuel au nom de la démocratie, de l’esprit critique et de l’éthique journalistique. Pourtant, ces derniers sont régulièrement des invités de ces émissions pour venir faire la promotion de leurs enquêtes et de leur travail sérieux. Pensons notamment à Alain Gravel, le journaliste d’Enquête, que l’on a vu régulièrement à Tout le monde en parle pour parler de la corruption dans l’industrie de la construction.
Le mélange des genres : pas d’hier…
Si nous avons tous en tête La fin du monde est à sept heures, Infoman ou Tout le monde en parle quand nous pensons à l’infodivertissment, il faut savoir que ces émissions ont eu des ancêtres comme Chez Miville, Carte blanche ou encore, Les couche-tard et Appelez-moi Lise à Radio-Canada, Parle parle, jase jase, Michel Jasmin, Ad lib à Télé-Métropole animées par Réal Giguère, Michel Jasmin et Jean-Pierre Coallier.
Outre ces talk-shows de renom qui ont marqué notre histoire télévisuelle, ce mélange des genres s’est muté en transformation des bulletins de nouvelles où le style Jean-Luc Mongrain a été un produit de l’infodivertissement et de l’introduction du spectaculaire dans la diffusion de nouvelles et d’information sur des sujets sérieux. Le produit le plus achevé et en cheville avec notre époque est sans contredit l’émission Tout le monde en parle.
Les politiciens et les infopubs
Cela a eu de multiples conséquences dans la vie des politiciens qui nous gouvernent qui non seulement ont dû apprendre à s’exprimer dans des clips de huit à dix secondes pour les besoins des bulletins d’information télé et radio, mais aussi qui ont l’obligation aujourd’hui de nous montrer les côtés les plus humains de leurs personnalités. L’image forte de Bill Clinton jouant du saxophone à l’émission de Jay Léno est encore aujourd’hui un puissant exemple du nouveau style de couverture politique dans les pays de tradition de démocratie libérale. Pourquoi pensez-vous que même le peu « sexy » premier ministre du Canada Stephen Harper s’adonne au piano en public?
Non seulement les politiciens doivent-ils avoir toutes les qualités requises de gestionnaire et de leader pour prétendre diriger nos destinées, mais ils doivent aussi être intéressants, drôles et surtout posséder un talent caché qui nous surprendra tous. On exige que ces derniers n’aient pas la langue de bois, mais on ne veut pas non plus entendre la vérité parce que celle-ci n’est pas stimulante.
La politique est devenue une sorte de divertissement que s’empressent de nous faire partager nos principaux diffuseurs télévisuels.
L’Infodivertissement est là pour demeurer…
Faut-il s’en faire avec le triomphe de l’infodivertissement sur nos ondes? Pas plus qu’il ne faut, nous dit au terme de son étude Frédérick Bastien dans son livre récemment publié. Laissons-lui la conclusion de cette chronique : « Les données que nous avons présentées dans cet ouvrage indiquent une démesure entre la sévérité des reproches formulés à l’endroit de l’Infodivertissement et la réalité. Les émissions d’information ne sont pas moins nombreuses, elles n’ont pas été remplacées par l’infodivertissement. Les politiciens ne délaissent pas les émissions d’information au profit des talk-shows. S’ils le faisaient, ils se priveraient de vitrines précieuses, car l’appétit des talk-shows pour les acteurs politiques ne saurait égaler, celui insatiable, du secteur de l’information. Lorsque des entrevues sont menées avec des politiciens dans des talk-shows, les enjeux de politiques publiques y reçoivent parfois une attention significative et des intervieweurs font des efforts manifestes pour adapter un mode d’interrogation critique, posant des questions de relance et soulevant des objections aux propos des interviewés, reproduisant ainsi certaines pratiques journalistiques. » (F. Bastien, Tout le monde en regarde!, p. 167-168)
L’infodivertissement : la démocratisation de la politique
Au terme de la lecture de l’excellente étude de Frédérick Bastien, on ressort convaincu que l’infodivertissement est là pour rester, mais en même temps on est rapidement convaincu que cela n’est pas la catastrophe annoncée par de nombreux intellectuels. Au contraire, ces émissions rendent plus intelligibles la politique pour bien des gens qui autrement ne s’y intéresseraient pas et permettent de sensibiliser des gens moins politisés à des dossiers qui autrement ne capteraient pas leur attention. Une chose est certaine, lorsque Pauline Marois sera l’une des invitées de Guy A. Lepage au cours des prochaines semaines, nous saurons alors que nous serons bientôt convoqués aux urnes…
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