La « peopolisation » du Québec
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Date: 19 août 2015Auteur: Daniel Nadeau
Le mariage du chef du Parti québécois, Pierre-Karl Péladeau, et de la populaire démone de la télévision Julie Snyder ne sera pas passé inaperçu dans le monde médiatique québécois. Faut-il y voir une opération charme de relations publiques de type politique? Assurément oui.
Il n’en demeure pas moins qu’au-delà de l’opération de relations publiques évidente, cet événement porte en lui-même un phénomène beaucoup plus révélateur des mutations profondes de la société québécoise : la « peopolisation » du Québec. Des explications.
Opération de relations publiques d’abord…
Bien sûr, au premier regard, le mariage de PKP et de Julie, c’est intentionnellement que j’utilise la forme familière pour les nommer, permet de donner un peu de poli à l’image abrasive de Pierre-Karl Péladeau. Ce chef d’entreprise, héritier de Pierre Péladeau l’un des entrepreneurs qui a forgé le mythe du Québec inc., a eu plutôt l’image de l’entrepreneur dur qui n’a pas hésité à décréter des lockout dans ses entreprises pour régler des problèmes structurels. Bien plus encore, Pierre-Karl Péladeau a flirté dangereusement avec la droite pure et dure du Canada anglais en donnant la parole à ses éléments les plus radicaux à Sun TV.
La mutation de PKP en social-démocrate souverainiste est un long chemin par lequel il veut se donner une nouvelle virginité politique. En ce sens, l’amoureux repentant qui a obtenu le pardon de la très populaire Julie Snyder et l’image du bon père de famille ne peut que contribuer à améliorer son dossier de premier ministre en attente.
Ce qui convainc davantage de la nature profondément relations publiques de cet événement majeur dans la vie de ces deux individus connus et populaires, c’est la mise en scène très « politically correct » de l’événement. L’arrivée en vélo et en voiture électrique rappelle l’image verte du couple et du chef du PQ. Le retard de 75 minutes de la mariée, ce qui serait vu comme une injure inacceptable par le marié pour vous et moi, s’explique par la très grande disponibilité de madame Snyder à la foule qui sur son chemin l’acclamait et voulait se faire photographier avec elle. Puis, le célébrant, ci-devant maire de Québec Régis Labeaume ne pouvait que donner plus de couleurs de relations publiques à cet événement. Les invités, des membres de la colonie artistique en vue, des politiciens de tous les partis comme le maire de Montréal Denis Coderre et finalement la diffusion sur les réseaux sociaux de bribes de l’événement ne pouvaient qu’attiser la curiosité maladive des publics pour ce non-événement. Mon amie et collaboratrice Michelle Blanc, invitée elle aussi grâce à ses liens avec Julie Snyder au temps déjà lointain de la Charte des valeurs et des Jeannette, se faisant même commentatrice de l’événement sur les ondes de la radio privée. Enfin, il ne faut pas oublier la place faite à Jean-Paul Gaulthier et au végétarisme, tendance on ne peut plus in dans ce 21e siècle si désemparé dans ses valeurs.
Le lieu, les invités, le célébrant, la manière, les clins d’œil avec les objets et les phénomènes liés à la culture, à l’écologisme, le caractère privé et public par les médias sociaux et la place grandiose faite à la culture du Québec et à ses artisans ont fait de l’événement une opération de relations publiques somme toute réussie.
Peopolisation maintenant :
Même si l’Office de la langue française propose d’utiliser le mot « vedettisation » pour parler du phénomène de la peopolisation, je m’en tiens à ce dernier mot qui dit bien ce que cela veut dire. La peopolisation c’est la propension qu’ont les gens connus de mettre en scène leur vie privée pour augmenter leur popularité ou l’estime des gens à leur endroit.
Jusqu’à peu, la société québécoise avait été épargnée de ce phénomène qui est d’origine anglo-saxonne. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, ça fait longtemps que l’on met en scène sa vie privée pour se faire du bénéfice politique. En France, c’est le président Nicolas Sarkosy qui fut celui qui a le plus « pipolisé » son mandat vivant un divorce en direct et en nouant une nouvelle idylle avec la chanteuse Carla Bruni.
Au Canada, on ne peut accuser le premier ministre Harper de jouer ce jeu. Voilà un bon point à son actif. Il est d’une discrétion absolue sur sa vie privée. On ne sait que peu de choses sur lui et sur sa famille si ce n’est sa passion pour le hockey sur glace.
Au Québec, on n’avait pas encore vu l’illustration d’un tel phénomène avant l’ère somme toute nouvelle de PKP. Il a fait une entrée remarquée le poing levé en politique québécoise. Madame Marois s’en souviendra. Mais aujourd’hui, PKP et Julie Snyder jouent le grand jeu de rendre leur vie privée publique. De jeunes enfants, les leurs sont ici en cause, je souhaite en toute sincérité que cette vie privée publique n’affecte pas leurs vies. Le chemin pour la souveraineté risque d’être long et le combat s’annonce très dur. Il ne faudrait pas que la peoplisation de la politique québécoise inaugurée ce weekend dernier par le couple Péladeau-Snyder ne transforme notre société en une vulgaire réplique de ce qu’il y a de plus détestable de la politique américaine. La politique devrait demeurer un lieu de débats, d’idées et de valeurs plutôt qu’un concours de popularité.