La mise au rancart de Michel Foucault et l’émergence des publics rebelles
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Date: 17 décembre 2015Auteur: Daniel Nadeau
Nous n’en sommes pas à un paradoxe près. Alors que les théories du philosophe français Michel Foucault triomphent dans les cercles universitaires avec les concepts de gouvernance étatique où l’autorité discipline le citoyen dans son économie panoptique et où les élites répriment la dissidence, jamais ces théories n’auront été plus mises à mal qu’aujourd’hui.
Nous assistons à l’émergence des publics rebelles. La colère envers les tactiques « foucaldiennes » du pouvoir n’a jamais été aussi grande parmi les citoyens et ils recherchent un exutoire à leurs frustrations. Cela donne de curieux retournements de situation. Par exemple, c’est un tel mouvement de fond qui est à l’origine de la vague orange qui a déferlé sur le Québec lors des élections fédérales de 2011 et qui a emporté le Bloc québécois dans sa déferlante. C’est aussi ce même type de colère qui a obligé le gouvernement du Québec à mettre sur pied la commission Charbonneau afin de faire quelque chose contre la corruption. Malgré la tenue de cette commission avec ses révélations accablantes pour les élites québécoises et la classe politique, la population ne décolère pas. Elle veut que les coupables soient emprisonnés et désire être remboursée rubis sur l’ongle.
Ces quelques exemples qui illustrent un profond changement social au Québec s’accompagnent de nouvelles attitudes comme le « déclin de la déférence » selon le mot heureux de Neil Nevitte. Le Père, le Curé, le Médecin, le Président de compagnie, le Ministre ou le Premier ministre suscitent désormais plus de méfiance que de confiance et divisent plus qu’ils ne rassemblent. Un nouveau public plus éduqué et armé des outils du Web demande des comptes et veut obtenir une société à leur image.
C’est ce phénomène que décrit Daniel Drache dans son livre intitulé Publics rebelles, Le pouvoir sans précédent du citoyen du monde! publié en 2014 chez Liber. Dans son livre, Drache fait la démonstration que les peuples ont pris l’avantage. Ils se sont approprié des outils organisationnels et d’information qui leur permettent de se libérer de la rationalité économique instrumentale du marché pour la remplacer par une nouvelle logique qui s’appuie sur l’action individuelle, l’accomplissement collectif et la raison publique.
Dans ce nouveau bouillonnement social, on assiste à la conjonction des actions des citoyens de droite et de gauche contre l’Autorité constituée. Cela constitue de redoutables assauts à l’ordre établi et rend plus difficile que jamais la gouvernance de nos institutions communes.
Ce micromilitantisme se déploie à l’échelle de la planète. Sa caractéristique est qu’il est disparate et diversifié. De nos jours, les citoyens se mobilisent pour améliorer leur quartier, pour réclamer la protection de leur eau potable, pour dénoncer un développement immobilier, pour dénoncer de nouvelles taxesou encore pour réclamer la fin du pétrole ou pour une école gratuite pour tous.
Deux grandes caractéristiques émergent de ce nouveau micromilitantisme mondial :
– Les gens critiquent fortement les autorités institutionnelles et sont de moins en moins enclins à adhérer à des organismes comme des partis politiques;
– Les publics sont de mieux en mieux informés et davantage instruits au sujet du monde et des enjeux du monde dans lequel ils vivent.
Cela demande des changements de la part des autorités qui gèrent nos biens collectifs. Il faudrait à moyen terme réfléchir à la pertinence du fonctionnement de nos institutions. Si la démocratie ne devait vraisemblablement pas être remise en question, ses modalités de fonctionnement devraient être revues par exemple par un nouveau mode de scrutin.
Ce qui importe à plus à court terme, c’est que les autorités acceptent le principe d’un dialogue continu avec les parties prenantes par des communications bidirectionnelles symétriques. Jurgen Habermas a bien décrit dans son œuvre l’importance de constituer « des communautés communicationnelles ». La seule façon d’aborder avec une chance raisonnable de succès la plupart des problèmes c’est par le partage du pouvoir avec les parties prenantes « in situ ». Faire autrement ne peut que mener à des conflits et à des blocages qui nous empêchent d’avancer. Cela, j’en conviens, est un immense changement de culture pour nous tous. Néanmoins, ce n’est pas parce que nous nierons la réalité que celle-ci cessera d’exister. Le déni est la pire des politiques. C’est de cette approche dont je parlais hier dans mon billet sur ce blogue à-propos de la crise à l’UQAM.