Le pouvoir et le Web
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Date: 14 janvier 2016Auteur: Daniel Nadeau
Quoiqu’ils puissent en dire, les puissants de ce monde ont beaucoup de difficulté avec l’omniprésence du Web dans la vie quotidienne des gens. Prenons l’exemple récent de l’État islamique coupable de terrorisme et d’actes d’une brutalité inouïe, l’ennemi public numéro 1 dans le monde. Quel est le principal allié de cet ennemi pour le recrutement de ces jeunes adeptes, le Web? Est-ce toute la vérité? Nous n’en savons rien, car le phénomène est relativement nouveau. Chose certaine, le Web est un puissant outil de communication qui permet de réaliser de nombreuses prouesses dans la volonté d’une organisation de rassembler et de fédérer les gens à des valeurs et à des idées. J’ai eu l’occasion dans de nombreux billets sur ce blogue de vous en faire la démonstration.
Autre exemple tiré de l’article de Philippe de Grosbois dans le livre de Normand Baillargeon (Normand Baillargeon, Mutations de l’univers médiatique, Ville Mont-Royal, 2014, 150 p.) intitulé Entre pingouins et gazouillis. Le journalisme à l’ère de l’indignation et du Web social. Dans son article, De Grosbois relate la déclaration du premier ministre Recep Tayyip Erdogan qui a affirmé : La menace aujourd’hui, s’appelle Twitter. C’est là que se répandent les plus gros mensonges. Les réseaux sociaux sont la pire menace pour la société (De Grosbois, Entre pingouins et gazouillis… p. 21).
Pourquoi ce dirigeant politique s’en est-il pris de la sorte au réseau Twitter? Qu’ont accompli les réseaux sociaux de si dérangeant pour que le premier ministre d’un pays se livre à une attaque aussi féroce? La réponse c’est qu’il a perdu le contrôle de l’agenda de l’opinion publique turque à cause des réseaux sociaux. Rappelons que le 1er juin 2013, la Turquie a été le théâtre de manifestations importantes. Pendant ce temps, la chaîne d’information continue CNN-Türk diffusait un documentaire animalier sur les pingouins et une émission culinaire. (loc. cit) Pas d’images encore moins de commentaires sur cet événement majeur dans la vie des Turcs sur le canal d’information continue.
Vous vous doutez bien que ce silence, cette illustration manifeste de la collusion entre le pouvoir et les médias est devenue un puissant symbole pour les opposants qui l’ont repris à toutes les sauces sur les réseaux sociaux et dans la rue.
Ici au Québec, nous avons vécu dans une moindre mesure la même chose lors du printemps érable étudiant. Les réseaux sociaux habilement utilisés par celles et ceux qui contestaient l’autorité ont été vus comme l’une des causes des troubles plutôt que comme un simple relais.
C’est un exemple concret qui nous montre la méfiance du pouvoir à l’égard de la foule et du plus grand nombre. C’est aussi un fait qui interpelle le fonctionnement de nos institutions démocratiques au sens où la démocratie de représentation pèse moins lourd que la démocratie de participation au temps du triomphe du Web 2.0. Plutôt que de s’en méfier, nos dirigeants devraient plutôt s’en inspirer. On ne peut pas continuer de se mettre la tête dans le sable comme l’autruche et refuser de prendre acte des transformations majeures qu’entraînent dans nos vies les mutations profondes des médias qui ne sont en fait que le reflet de notre rapport avec le monde commun.