Les médias, l’agenda-setting et le phénomène Trump
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Date: 17 mars 2016Auteur: Daniel Nadeau
J’ai déjà évoqué dans plusieurs de mes billets sur ce blogue l’importance de l’agenda-setting dans la formation de l’opinion publique. Pour fins de mémoire, je vous rappelle ce qu’est cette théorie élaborée dans le premier chapitre du livre de Walter Lippmann « Public Opinion » dans le chapitre intitulé « The World Outside And The Pictures In Our Heads » publié en 1922.
L’argumentation de Lippmann est relativement simple. Elle tient dans l’affirmation que le lien principal entre les événements se produisant dans le monde et les perceptions que nous nous en faisons ce sont les médias. Pour Lippmann, en 1922, le principal outil de « formatage des consciences » des citoyennes et des citoyens était les médias de masse. De nos jours, il faudrait y intégrer les médias sociaux comme partie intégrante de sa théorie. Sans jamais utiliser le terme d’agenda-setting, Lippmann nous disait que les médias de masse forgeaient nos opinions. Il était suivi en cela par Bernard Cohen qui en 1963 écrivait : “may not be successful much of the time in telling people what to think, but it is stunningly successful in telling its readers what to think about. The world will look different to different people,” Cohen continues, “depending on the map that is drawn for them by writers, editors, and publishers of the paper they read.” (https://en.wikipedia.org/wiki/Agenda-setting_theory)
Si Cohen a repris l’idée de Lippmann, c’est à McCombs and Shaw que revient le mérite d’avoir formalisé la théorie de l’agenda-setting. Voici ce qu’ils en disaient : “Agenda-setting is the creation of public awareness and concern of salient issues by the news media. Two basic assumptions underlie most researches on agenda-setting: – 1. the press and the media do not reflect reality; they filter and shape it; – 2. media concentration on a few issues and subjects leads the public to perceive those issues as more important than other issues.” (loc.cit.)
Si je vous parle de cela, c’est pour attirer votre attention sur la place démesurée qu’occupent les excuses et les non-excuses dans les médias de l’un ou l’autre de nos parlementaires. En faisant le choix de l’aspect humain et du spectacle, les médias ignorent dans la couverture les grands enjeux qui confrontent nos sociétés en marge de ces excuses ou insultes de parlementaires. On ne règle toujours pas la question du trop payé de nos médicaments au Québec quand on discute des états d’âme de madame Lamarre et du comportement inacceptable du Dr Barrette. Quand on discute des déclarations du premier ministre Philippe Couillard qui accusait la semaine dernière François Legault de souffler sur les braises de l’intolérance concernant sa pertinence ou non, nous ne discutons pas de l’enjeu de l’immigration et de la faiblesse des ressources que nous consacrons à l’intégration des immigrants à l’emploi, principal vecteur d’une intégration réussie.
Je pourrais aussi évoquer l’exemple de la visite du premier ministre Justin Trudeau à Washington où la couverture des médias s’est beaucoup trop attardée aux effets « bling bling » et au fait que le président Obama était en fin de mandat plutôt que de faire un vrai bilan des relations canado-américaines de la dernière décennie. Quoi que l’on puisse en dire, l’élection du gouvernement Trudeau a changé la donne et le long chemin pour rétablir la réputation canadienne sur la scène internationale ne fait que commencer. C’est de cela que les médias devraient nous parler et nous informer.
En faisant le choix des éléments spectaculaires, de l’anecdotique et du sensationnel, les médias d’information tant électroniques que les versions imprimées ne font pas convenablement leur travail et ils s’acquittent mal de leurs lourdes responsabilités de fixer les termes de l’agenda public, de la conversation démocratique. La présence de tous ces « joueursnalistes » et commentateurs de surface sur les réseaux sociaux ne fait qu’empirer les choses. Au moment où nous avons le plus de moyens de communiquer entre nous et de discuter des éléments qui fondent notre vie commune démocratique, nous sommes fort mal servis par nos outils de communication puissants et la démocratie en prend pour son rhume. C’est un terreau fertile qui rend possible des gens comme le phénomène Donald Trump aux États-Unis…