De la justice spectacle?
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Date: 18 mars 2016Auteur: Daniel Nadeau
Il faut parfois avoir le courage d’aller à contre-courant même au risque de se faire accuser de complaisance ou de partisanerie. Aujourd’hui, je franchirai cette barrière en émettant des réserves sur les arrestations spectaculaires de Nathalie Normandeau et de Marc-Yvan Côté, deux anciens ministres libéraux.
Je comprends que l’on se réjouira dans certaines chaumières politiques partisanes surtout au PQ et à la CAQ, mais je vous prédis qu’il vaudrait mieux être prudent avant de se faire soi-même des juges.
Voici mon point de vue.
D’entrée de jeu, je n’ai pas d’informations autres que celles véhiculées dans les médias. J’ai souvenir cependant des témoignages que j’ai entendus lors des audiences de la Commission Charbonneau. Je n’ai pas l’intention de faire l’exégèse des propos entendus alors, mais pour l’essentiel je n’avais pas compris qu’il y avait eu malversations selon les témoignages de madame Normandeau et de messieurs Côté et Lortie.
Il s’agissait plutôt de l’usage du pouvoir discrétionnaire d’une ministre au profit de petites communautés villageoises aux prises avec des problèmes d’infrastructures. Des communautés qui n’avaient pas les moyens de payer des correctifs jugés essentiels pour leur approvisionnement en eau potable par exemple.
Ces projets étaient-ils plus urgents que d’autres? Les solutions proposées étaient-elles les meilleures, les plus adaptées aux circonstances? Cela seuls des ingénieurs peuvent nous le dire. Encore là, deux ingénieurs nous diront deux choses différentes. Alors, nous sommes clairement dans une zone grise. Le genre de zone où la discrétion d’une ou d’un ministre doit s’exercer et c’est ce qui a été fait.
L’autre zone grise est l’exercice du pouvoir politique. Élire un député et que celui-ci devienne ministre est-il un avantage pour une région sur une autre ou non? À quoi sert d’avoir un ministre qui défend les intérêts d’une région si collectivement nous jugeons criminel désormais l’exercice du pouvoir et d’une discrétion de ce même ministre?
Bien sûr, il y a les faits troublants que cette ex-ministre, madame Normandeau, était liée de façon partisane au représentant de la firme d’ingénieur en cause, la firme Roche. Son chef de cabinet, Bruno Lortie, pire encore avait des liens sentimentaux avec le représentant de Roche, Marc-Yvan Côté. Les apparences sont contre les protagonistes de ces dossiers.
Il faut cependant s’interroger si un juge ou un jury trouvera ces gens coupables de l’un des chefs d’accusation déposés contre eux. Selon moi, les hésitations du DPCP à déposer des accusations contre ces gens étaient beaucoup plus liées à la fragilité de la preuve qu’aux liens partisans avec les gouvernements. Bien sûr, le dossier de Boisbriand a déjà donné des accusations criminelles. Les accusations d’hier sont-elles un « remake » avec plus d’acteurs de ce que nous savons déjà? Chose certaine, il faudrait que les retours d’ascenseurs soient plus que des billets de spectacles de Madonna ou de Céline Dion ou un bouquet de roses pour me convaincre du bien-fondé de ces nouvelles accusations. Si la ministre ou son chef de cabinet avait obtenu de l’argent sonnant à leur profit, je trouverais alors que l’on parle de choses sérieuses. Sinon, ce ne sera que du spectacle.
En tout cas, les accusations portées hier auront au moins le mérite de réjouir le peuple qui réclamait des coupables. Des gros poissons. Si jamais il se prouve que notre système de justice a décidé, malgré la fragilité de ses preuves, de déposer des accusations contre des gens importants pour des raisons d’image et pour satisfaire les appétits du bon peuple, c’est la justice qui aura perdu. Pour ma part, j’ai hâte de voir et je crains que nous découvrions dans les prochains mois et la prochaine année que nous sommes en pleine justice spectacle. Le temps dira si j’ai tort! Au fond, pour notre bien à tous, j’espère avoir tort…