Le multiculturalisme comme religion politique
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Date: 28 juin 2016Auteur: Daniel Nadeau
Il faut lire le dernier livre de Mathieu Bock-Côté. Il consacre tout son talent à nous raconter la genèse d’une idée importante des démocraties occidentales de notre époque, celle du multiculturalisme et de la diversité. Situant son sujet dans l’histoire de la modernité, Mathieu Bock-Côté s’interroge sur la façon dont les intellectuels ont imposé à la France et aux nations occidentales la notion d’identités particulières pour la substituer à celle d’identité commune?
Sans surprises, Bock-Côté attribue cet exploit à la gauche progressiste issue des rangs de Mai 68 en France. Il attribue au renouvellement de l’idée de révolution à une gauche métamorphosée qui n’a eu de cesse à critiquer les États-nations et le monopole d’un ordre libéral s’abreuvant à la nation, au rôle traditionnel des femmes et des hommes, entre autres choses. Patiemment, cette nouvelle gauche s’est trouvé une nouvelle vocation dans la foulée de l’effondrement du marxisme et elle a fondé la religion de l’égalitarisme identitaire.
Les critiques envers l’Occident sont devenus rédhibitoires. On a célébré la venue du droit-de-l’hommisme et de l’idéologie antidiscriminatoire. L’auteur voit dans ce mouvement révolutionnaire la récupération des idées de la contre-culture et il accuse cette nouvelle gauche qui a triomphé aujourd’hui d’avoir confisqué la démocratie au nom des minorités.
On comprendra que Mathieu Bock-Côté déplore ce fait et souhaite que l’on réapprenne à penser la singularité de chaque culture. Il dénonce la société des identités. Pour lui, c’est clair et sans appel, l’humanité doit renouer avec elle-même, avec ses racines et ses traditions pour vaincre le totalitarisme d’une modernité désincarnée.
Lisons ensemble sa conclusion : « C’est l’utopisme et le désir de déraciner l’homme pour le faire renaître dans un paradis enfin advenu sur terre qui est le fil conducteur du totalitarisme. C’est la part maudite de la modernité, sa part folle, si on préfère. L’homme peut certainement améliorer le monde, l’organiser, le transformer, l’amender. Jamais il ne doit se laisser enfermer dans un monde pour de bon fixé. Mais l’homme ne saurait créer le monde non plus que de se créer lui-même. La conscience de sa finitude n’est pas un obstacle à abattre, mais la condition même de son humanité. Son ancrage dans une identité sexuée et historique n’est pas une négation de son génie créatif, mais la condition même de son inscription dans le monde. Le multiculturalisme comme religion politique écrit une nouvelle page dans l’histoire de l’assujettissement de l’homme et dans la tentative de le décharner pour le libérer. L’antitotalitarisme est une tradition de pensée avec laquelle renouer. » (Mathieu Bock-Côté, Le multiculturalisme comme religion politique, Paris, Les Éditions du Cerf, 2016, p. 331).
Chroniqueur au Journal de Montréal et sociologue de formation, Mathieu Bock-Côté vient de nous donner son meilleur livre de sa courte carrière. Nul doute qu’il s’imposera de plus en plus comme l’une des voix singulières parmi les intellectuels québécois. Que l’on partage ou non son point de vue, il nous faut reconnaître la rigueur de sa démonstration. Un livre à lire absolument…