La justice du peuple
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Date: 8 février 2017Auteur: Daniel Nadeau
De nos jours, il est de bon ton de se réclamer du peuple. Le peuple a bon dos. Il s’agit de voir comment le président américain Donald Trump s’en réclame pour en saisir toute l’ampleur. Le Larousse définit le peuple comme : « Ensemble de personnes vivant en société sur un même territoire et unies par des liens culturels, des institutions politiques. Le peuple est, avec le territoire et l’organisation politique, l’un des trois éléments constitutifs de l’État. Une communauté de gens unis par leur origine, leur mode de vie, leur langue ou leur culture. »
Cette définition demeure néanmoins insuffisante pour discuter de son incursion dans l’espace public où le peuple se mute en opinion publique dans un univers discursif politique. En fait, la justice du peuple s’exprime souvent par le biais de l’opinion publique. Cette justice « populaire » est différente de la justice en soi, celle que l’on souhaite pour nous-même et pour ceux que l’on aime.
En effet, quiconque est accusé ou poursuivi dispose du droit à la présomption d’innocence. On doit aussi prouver sa culpabilité à un geste commis qui va à l’encontre de nos lois « hors de tout doute raisonnable ». Ainsi va la justice chez nous. La vraie justice.
Avec la prolifération des nouveaux moyens de communication, l’instantanéité de la circulation de l’information, la justice est aujourd’hui mise en concurrence avec son double : la justice populaire. La justice de la délibération des opinions dans l’espace public qui forme en bout de course l’opinion publique ambiante. Cette justice d’un tribunal populaire a toujours existé, mais jamais elle n’a été aussi influente et souvent elle prend le pas sur la vraie justice.
Du bla-bla tout cela pensez-vous? Pour vous en convaincre, prenons l’affaire Gerry Slakvounos, ce député accusé d’agression sexuelle par une jeune femme et blanchi par notre système de justice. Son innocence au crime dont il a été injustement accusé devrait donc lui permettre de réintégrer le groupe parlementaire de sa formation politique. Et non. Gerry Sklavounos doit, nous dit le chef du Parti libéral du Québec, Philippe Couillard, faire une déclaration et entreprendre une démarche personnelle prouvant qu’il a bien compris que les femmes ne sont pas des objets sexuels. C’est moi qui définis les attentes du premier ministre quant à son député, ce ne sont pas ses mots, mais si on lit entre les lignes c’est ce que cela veut dire. Pourtant, la justice officielle, la vraie l’a déclaré innocent de tout crime. Pourquoi alors cette préséance de la justice populaire sur la vraie justice dans l’esprit de notre premier ministre?
De deux choses l’une, où monsieur Couillard dispose d’informations compromettantes sur son député et a de solides raisons pour faire obstacle à son retour dans sa famille politique, où le premier ministre cède à l’opinion ambiante. Dans les deux cas, cela n’est pas rassurant. Dans le premier, le premier ministre doit la transparence à la population et il doit dévoiler ce qu’il sait pour que l’on comprenne mieux sa position. Dans le second, il n’est pas à la hauteur de la fonction difficile qu’il exerce. L’homme d’État qu’il peut être devrait réfléchir à cette façon de voir les choses et adapter son comportement à la situation actuelle dans le dossier de monsieur Sklavounos.
Quant à nous, citoyens, membres de ce peuple à la dégaine rapide en matière de justice, nous devrions nous inquiéter de ce possible dérapage de la préséance de la justice du peuple sur la vraie justice. Chose certaine, on doit se méfier de l’emprise sur nos gouvernants de la justice du peuple…