Les patriotes sèment la discorde
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Date: 22 mai 2017Auteur: Daniel Nadeau
L’inculture c’est triste. On a beau trouver que l’on forme trop de « pelleteux de nuages » dans nos universités dans des programmes improbables et inutiles comme l’histoire, la philosophie ou les sciences sociales, mais chaque jour l’actualité donne à croire que nous n’en formons pas assez. À tout le moins, la culture des « têtes bien faites » est cruellement absente de nos vies.
Il en va ainsi avec le débat surréaliste autour du drapeau des patriotes qui a eu cours la semaine dernière à l’Assemblée nationale du Québec. Pour celles et ceux qui ont raté cela. Résumons.
Aujourd’hui, c’est un jour férié. Pendant longtemps, ce fut la fête de la Reine. Plus tard, dans la mouvance nationaliste, c’est devenu la fête de Dollard Des Ormeaux pour rappeler ce personnage historique de l’époque de la Nouvelle-France aux faits d’armes contestés dans une lutte noble ou non contre des guerriers iroquois à Long Sault en 1660. Puis en 2002, le gouvernement du Québec du premier ministre de l’époque, Bernard Landry, a décidé de déclarer cette journée jour férié sous le nom de Journée nationale des Patriotes. Voici d’ailleurs le texte du communiqué de presse émis pour l’occasion :
« Saint-Denis-sur-Richelieu, le dimanche 24 novembre 2002 — Le premier ministre du Québec, M. Bernard Landry, a profité de la commémoration annuelle de la Journée des Patriotes, à Saint-Denis-sur-Richelieu, pour annoncer que cet événement porterait désormais le nom de Journée nationale des Patriotes. Le décret adopté cette semaine par le Conseil des ministres stipule également que cette journée sera dorénavant célébrée le lundi précédant immédiatement le 25 mai. La Journée nationale des Patriotes accédera ainsi au rang de congé férié, puisque ce lundi est déjà un jour chômé, traditionnellement désigné sous le vocable de Fête de Dollard.
Ce jour férié soulignera la lutte des Patriotes de 1837-1838 pour la reconnaissance nationale de notre peuple, pour sa liberté politique et pour l’obtention d’un système de gouvernement démocratique. Il rappellera notamment les efforts de démocrates éclairés, de Daniel Tracy à John Neilson, d’Armury Girod à Louis-Joseph Papineau. Nous avons choisi d’honorer de cette manière la mémoire des hommes et des femmes qui, depuis l’implantation des institutions parlementaires, en 1791, ont milité pour les droits de la majorité, dont celui du peuple à se gouverner lui-même », a mentionné le premier ministre.
« Le remplacement du jour férié de Dollard par la Journée nationale des Patriotes a été motivé par l’existence d’événements marquants de l’histoire du Québec s’étant produits au Québec à cette période de l’année. En effet, au mois de mai 1837, plusieurs assemblées publiques ont eu lieu partout au Québec en réponse à la décision de Londres de rejeter les revendications des Patriotes. Ces derniers réclamaient principalement le contrôle du budget par les élus, l’électivité des ministres et un gouvernement responsable. »
La semaine dernière, les deux partis d’opposition, le PQ et la CAQ ont présenté une motion visant à faire flotter le drapeau des patriotes à l’un des mats de l’assemblée nationale, ce qui a été refusé par le gouvernement du Québec.
Étonnant cette querelle de drapeaux autour d’un événement officiel reconnu comme partie de notre histoire. Les libéraux de Philippe Couillard semblent beaucoup plus enclins à célébrer la diversité canadienne et la charte des droits et libertés que de reconnaître les symboles forts de la nation canadienne-française. Les Canadiens-français qui sont la majorité de la population au Québec forment avec celles et ceux qu’elle a accueillis la nation québécoise. Dans son histoire, il y a eu ce moment fort de la rébellion des patriotes en 1837-1838 qui revendiquait surtout l’autonomie du pouvoir législatif sur le pouvoir exécutif anglais conquérant. Bien sûr, cette histoire est riche de sens et prête à de nombreuses interprétations. Certains historiens y ont vu une forme de nationalisme et de revendication de l’indépendance du Québec dont les felquistes de la crise d’octobre qui ont utilisé les patriotes comme emblème.
Qu’importe l’utilisation des uns et des autres de cet événement, il n’en demeure pas moins que c’est un élément marquant de notre histoire commune à nous tous Canadiens-français et immigrants plus récents. Cette partisanerie de notre histoire frise l’inculture et ne peut que nous rendre tristes. La rébellion des patriotes est si importante pour nous que la décision de dédommager les victimes des actes de guerre des Britanniques a semé la colère parmi la population anglophone qui a par la suite incendié le parlement à Montréal en guise de manifestation de leur mécontentement.
Si l’Assemblée nationale est aujourd’hui à Québec plutôt qu’à Montréal c’est à cause des patriotes. Cela aurait surement mérité d’y faire flotter un drapeau pour nous remémorer cet événement.