La mémoire collective : l’imaginaire social comme liant du vouloir-vivre ensemble

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Date: 25 août 2017
Auteur: Daniel Nadeau

Hier, le maire de la ville de Québec s’est fait remarquer par ses déclarations fracassantes dans les médias eu égard aux sujets tabous liés à l’identité et à l’immigration qui, de son avis, étaient « snobés » par la classe politique québécoise. Il faisait un lien entre cette situation et la montée de l’extrême droite au Québec. Monsieur Labeaume qui a toujours son franc-parler s’est permis de faire de nombreux amalgames notamment entre les casseurs cagoulés et les femmes portant la burqa ou le tchador. Ces déclarations offrent une belle occasion pour se remémorer de quoi est constitué l’imaginaire social, notre mémoire collective qui est le principal liant de notre vie commune, du vouloir-vivre ensemble.

Il apparaît utile de prendre du recul sur les questions plus immédiates de l’actualité pour nous interroger sur ce phénomène que représente l’imaginaire social. Un livre publié l’an dernier aux Presses de l’Université de Montréal par le chercheur et docteur en littérature Alex Gagnon intitulé : La communauté du dehors. Imaginaire social et crimes célèbres au Québec (XIXe et XXe siècles) ». Dans ce livre, l’auteur nous plonge dans l’histoire culturelle des figures marquantes de la criminalité et grâce à une analyse qui est au croisement du discours médiatique, de la tradition orale et de la littérature, il nous montre comment l’imaginaire social se fabrique créant à partir de faits divers, de grandes figures antagoniques représentant tantôt le bien, tantôt le mal.

Par exemple, utilisant la figure de la Corriveau, cette femme qui fut suppliciée au moment de la conquête par les autorités du régime français dans une cage de torture en fer, l’auteur nous fait vivre les diverses significations qu’a prises la figure de la Corriveau dans la littérature et la tradition orale au Québec. Analyse vraiment intéressante.

Sur la jaquette du livre, l’éditeur écrit : « La perspective est historique et l’horizon anthropologique. Toute société a ses crimes et criminels légendaires : entrer dans ce panthéon maudit, aller à la rencontre de cette communauté du dehors, c’est aussi éclairer et questionner la dynamique fondatrice de nos sociétés, qui produisent de la cohésion sociale en construisant des figures de l’ennemi ou de la menace. En ce sens, cet ouvrage ne révèle pas seulement un pan inexploré de l’histoire et de la culture québécoises; il poursuit, en s’appuyant sur des bases historiques concrètes, une réflexion générale sur ce que Cornelius Castoriadis appelait l’institution de la société ».

C’est fort instructif de parcourir cet essai d’Alex Gagnon, ça nous rappelle que c’est un trait commun pour les sociétés de se fabriquer des ennemis et des menaces, de les entretenir par la rumeur et la tradition orale et de les distiller dans nos œuvres littéraires et nos essais. Ce qui se passe présentement au Québec avec la question du terrorisme musulman et de l’immigration procède de la même méthode. Nous nous fabriquons des ennemis, une communauté du dehors pour vaincre nos peurs et notre insécurité. Lire Gagnon c’est en quelque sorte un exercice de déconstruction du réel par la mise en distance critique de la façon dont est fabriqué notre imaginaire social. Si cela ne change pas nos préjugés sur les sujets d’actualité, cela permet tout au moins d’en relativiser l’importance. Ce qui, par les temps qui courent, est plus nécessaire que jamais pour notre hygiène mentale.

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