Les grandes figures oubliées de l’espace public québécois
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Date: 21 novembre 2017Auteur: Daniel Nadeau
Ludger Larose
On a trop souvent tendance à croire que le Québec contemporain est né dans les années 1960 avec le gouvernement de Jean Lesage et que la période précédente n’était qu’opacité, noirceur et traditionalisme. L’époque grandiloquente de Maurice Le Noblet Duplessis et l’empreinte de l’Église catholique romaine ont vraiment marqué les esprits de manière indélébile. Pourtant, au milieu du 19e siècle, il y a eu de nombreux êtres originaux qui ont permis au Québec contemporain d’advenir. Parmi ceux-ci, sans conteste, il y a Ludger Larose.
Ludger Larose est né en 1868 à Montréal. Peintre, professeur de dessin, libre-penseur anticlérical, il a étudié à l’École des beaux-arts et des métiers de Montréal avec l’abbé Joseph Chabert qui a été une figure importance de l’enseignement des arts au Québec au 19e siècle. L’œuvre de Ludger Larose est composée de plus de 400 tableaux allant des portraits de la bourgeoisie de son époque aux natures mortes et aux paysages.
Alison Longstaff a publié plus tôt cette année une biographie de la vie de cet artiste engagé et au parcours exceptionnel aux Presses de l’Université Laval sous le titre « Ludger Larose, un artiste engagé au tournant du XXe siècle ».
Voici ce qu’en dit l’auteur et son éditeur en promotion de son livre :
« Certains êtres, par une série de circonstances, en arrivent à réunir en eux les grandes tensions qui colorent leur temps. C’est le cas de Ludger Larose, un bourgeois qui fréquentait les membres du Parti ouvrier, un nationaliste canadien-français qui se déclarait athée lors du recensement de 1901, un esprit moderne qui enseignait le dessin selon les méthodes académiques françaises, un artiste peintre qui arborait des valeurs universalistes. Il en paiera doublement le prix. Pour ses contemporains, son association à la franc-maçonnerie lui vaudra le congédiement. Aux yeux de la postérité, cet artiste engagé aux idées progressistes aurait commis l’irréparable en produisant un “art académique”. C’est ainsi que, dans l’historiographie, on persiste à dire que les artistes du tournant du XXe siècle étaient déchirés entre la peinture et la nécessité de gagner leur vie et que cet écartèlement a eu un effet néfaste sur leur production esthétique. Toutefois, pour qui découvre la pensée et l’œuvre de Ludger Larose, et observe ses gestes et ses actions, le doute s’installe. Agissait-il par obligation ou avait-il pris la décision consciente de participer, comme d’autres intellectuels ou artistes de sa génération, à la mise en place d’un véritable milieu d’art en sol canadien? » (Alison Longstaff, Ludger Larose, un artiste engagé au tournant du 20e siècle, Québec, Presses de l’Université Laval, 2017)
Larose a été largement oublié par ses héritiers québécois. Il ne fut pas un peintre exceptionnel ni un enseignant remarquable et il a laissé peu de traces intellectuelles de sa pensée rebelle dans des œuvres écrites. Néanmoins, comme le dit l’auteur en citant la journaliste progressiste Éva Circe-Côté : « Circe-Côté en avait vu d’autres; elle savait que scandale, persécution et ostracisme guettaient sans discrimination les libres-penseurs qui s’affichaient comme tels. Tout de même, au moment de prononcer ce vœu, elle ne s’imaginait certainement pas qu’il allait falloir encore cent ans pour que le souvenir de Larose “surgisse du passé”… Par son acharnement pour le progrès, ce “persécuté” a incontestablement grandement contribué non seulement au développement du milieu d’art montréalais, mais aussi à l’avancement de la société québécoise. Si les croyances avant-gardistes marginales du peintre sont couramment acceptées de nos jours, c’est qu’elles ont été réitérées par d’autres autour de lui et ont accompagné le Canada français dans sa maturation et dans son processus de modernisation, quoique beaucoup plus tardivement que l’aurait voulu Larose. En fait, ce que Larose écrit, notamment à propos de la religion de façade au Québec, n’est pas sans rappeler ce que diront Jacques Lavigne et Pierre Vadeboncœur au début des années 1950. Un fil nouveau de la modernité est tiré » (Alison Longstaff, Ibid. p. 229).
Ce qu’il faut retenir ici c’est que le Québec contemporain n’est pas né avec la Révolution tranquille. Bien des femmes et des hommes ont contribué à leur corps défendant bien souvent à sortir le Québec de l’emprise de l’Église, du traditionalisme et des idées reçues. Ludger Larose en faisant partie intégrante. Il mérite que l’on se souvienne de lui…