L’État du Québec… espace public et usage des mots
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Date: 22 novembre 2017Auteur: Daniel Nadeau
Il y a des choses qui sont si coutumières que l’on vient à perdre leurs origines. Si tous s’entendent sur une vérité, c’est que les mots qui servent à nommer les choses ont de l’importance. Il en est ainsi de l’idée de nommer la province de Québec, le Québec et les Canadiens français les Québécois. La question qui me turlupine c’est la suivante : Depuis quand la province de Québec est-elle devenue le Québec pour l’opinion publique? Qui a, la première fois, appelé les habitants de la province de Québec, les Québécois?
D’entrée de jeu, un aveu. Je n’ai pas mené de longues recherches pour vous donner à coup sûr des réponses à ces questions simples, mais aux réponses peu concluantes. Quand je faisais ma scolarité de doctorat à l’Université de Montréal au début des années 2000, j’avais posé la question au professeur Pierre Trépanier avec qui je faisais des lectures dirigées et il m’avait répondu qu’il ignorait la réponse à mes questions.
Au fil de mes nombreuses lectures sur l’histoire du Québec, je commence à avoir des débuts de réponse à ces deux questions simples : qui le premier a utilisé le vocable État du Québec pour désigner la province de Québec et quel fut le premier à écrire l’épithète « Québécois » pour désigner les habitants de cette province jusque-là nommés Canadiens français?
Selon moi, le premier à utiliser l’État du Québec pour nommer la province de Québec est l’Abbé Lionel Groulx dans son roman l’Appel de la race écrit sous le pseudonyme Alonié de Lestres publié en 1922. Ce roman nous raconte l’histoire de Jules de Lantagnac qui redécouvre ses racines françaises, ce qui le mettra en porte à faux avec sa femme, ses filles et sa belle-famille. Un roman qui fera couler beaucoup d’encre à cette époque. C’est dans les critiques à l’égard de ce roman, notamment celle faite par Camille Roy dans la revue Le Canada français que l’on peut retrouver les traces de la réponse à la question posée. Voici ce qu’en rapporte Charles-Philippe Courtois dans sa récente biographie publiée sur Lionel Groulx : « Contrairement à des ouvrages comme La confédération canadienne ou Notre avenir politique, l’Appel de la race lui offre une belle occasion de critiquer ces idées de Groulx, car Roy est plus à l’aise sur le terrain de la critique littéraire. D’ailleurs, il aborde les questions politiques indirectement, par le biais d’une critique sur le style : la nouvelle expression qu’emploie le romancier qui parle “du Québec” ou évoque “le pays du Québec”, comme beaucoup d’auteurs de L’Action française et du Devoir ont commencé à le faire, serait à proscrire. “C’est affreux”, ce n’est pas français, selon Roy : il faut dire “province de Québec” ou “Québec” sans article. » (Charles-Philippe Courtois, Lionel Groulx. Le penseur le plus influent de l’histoire du Québec, Montréal, Éditions de l’homme, 2017, p. 229).
Voilà élucider par une hypothèse sérieuse l’apparition dans notre imaginaire collectif du pays du Québec ou de l’État du Québec qui nous viendrait de l’effervescence nationaliste du début des années 20 au 20e siècle dans la mouvance de la pensée nationaliste animée en partie par Lionel Groulx.
Quant à l’épithète « Québécois » pour remplacer celle de Canadien français, je gagerais un petit deux que ce fut Raoul Roy qui l’a utilisé le premier dans un article de La Revue socialiste ou L’Indépendantiste avant 1963. Cela fut repris largement par la suite par les artisans de la revue Parti pris.
Bref, Le Québec et les Québécois sont apparus dans l’espace public au 20e siècle et ces vocables sont nés dans la mouvance nationaliste québécoise animée par Lionel Groulx.