Nous, les Amérindiens et le métissage, autour du livre de Stéphane Savard
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Date: 20 février 2019Auteur: Daniel Nadeau
Dans un ouvrage publié récemment, l’historien Stéphane Savard se livre à des entretiens passionnants avec l’historien et ex-ministre du parti québécois, Denis Vaugeois, on peut prendre connaissance de l’évolution de la carrière de cet homme qui a eu une influence certaine sur notre connaissance de l’histoire et sur le monde de l’édition. Fondateur des maisons d’édition, Boréal et Septentrion, Denis Vaugeois a été un éditeur important au Québec et il a eu un apport significatif concernant la politique du livre au Québec et le développement des réseaux de bibliothèques publiques. Ce recueil d’entretiens menés d’une main de maître par Stéphane Savard constitue un voyage passionnant permettant de mieux découvrir la culture québécoise en suivant la trajectoire singulière d’un historien éditeur politicien. (Stéphane Savard, Denis Vaugeois. Entretiens, Montréal, éditions du Boréal, 2019, 381 p.)
Ce qui m’a le plus intéressé dans ces entretiens c’est la définition du nationalisme qu’inspire l’histoire du Québec à Denis Vaugeois. Ce dernier nous parle de « nationalisme historique ». Pour l’historien Vaugeois, c’est la langue française qui est le lien principal qui soude ce nationalisme historique. Appelé à définir son nationalisme historique, Vaugeois raconte : « Bien que de tradition catholique, ils (les Québécois francophones) demandent à l’État d’être laïque. Ils sont tolérants envers les autres religions dans la mesure où celles-ci restent du domaine du privé. Ils sont curieux et ouverts sur le monde. Ce sont de grands voyageurs, ils adorent l’aventure. Ils savent s’adapter et sont facilement chez eux à l’autre bout de la planète. Ils sont jaloux de leur liberté et respectent celle des autres. Ils sont pour l’égalité entre les hommes et les femmes, et de façon générale, entre les personnes. Ils réprouvent les injustices sociales et se méfient de la richesse. Ils respectent les différences et sont agacés par celles et ceux qui cherchent à imposer les leurs. Ils apprécient et défendent la liberté d’expression. Ils aiment manifester leur joie de vivre et sont pacifiques… Ils sont non-violents. Ils aiment la nature, le plein air et sont plutôt écologistes… Ils manifestent facilement leur compassion envers les démunis. » (Stéphane Savard, Denis Vaugeois. Entretiens, Montréal, Boréal, 2019, p. 110-111.)
Comment mieux dire à notre sujet ? Ce qui a le plus retenu mon attention c’est le propos tenu par Vaugeois sur le métissage et l’attitude de nos ancêtres envers les nations autochtones. Nous savons que pour Vaugeois l’histoire de la Nouvelle-France et les relations avec les nations autochtones sont centrales dans ses préoccupations historiques. Il est l’un de ces historiens qui prônent l’idée que nous sommes des métissés avec les nations autochtones. Il a même proposé une série qui a été diffusée à Radio-Québec (aujourd’hui Télé-Québec). Six émissions sont alors produites sous le thème de la diversité du peuplement, la série d’émission s’intitulera L’Étoffe du pays (six émissions de 27 minutes produites) en 1987.
Il s’ensuivra un débat important autour de la question du métissage franco-indien mené par le démographe Hubert Charbonneau qui s’insurge de la thèse de Vaugeois postulant à un métissage franco-indien : « Dans la première émission, nous faisons une large place au métissage franco-indien. Je préviens le public, si vous avez des problèmes avec le métissage génétique, il y a toujours le métissage culturel, dans les deux sens d’ailleurs. La réaction est immédiate : plusieurs affirment que les Québécois ne sont pas métissés que c’est un mythe. » (Stéphane Savard, Ibid. p. 112.)
Accompagnant cette thèse du métissage de la population Vaugeois nous parle aussi dans son œuvre de cohabitation des francophones avec les nations amérindiennes contrairement aux Anglais et aux Espagnols. La thèse de Vaugeois rejoint celle de Jean Morisset dans son livre publié l’an dernier chez Boréal intitulé : Sur la piste du Canadien errant. Dans ce livre, l’éditeur mentionne : « Jean Morisset nous invite à redécouvrir ce Canada enfoui sous les aveuglements de l’histoire et les traductions approximatives des cartes géographiques. Il montre comment la British North America s’est fabriqué une identité à partir des cultures autochtones, canadienne et métisse, tout en leur niant tout véritable pouvoir politique. Il montre enfin comment les Canadiens-faits-Québécois ont participé à cette appropriation du territoire en servant d’entremetteurs pour la Convention de la Baie-James, le dernier des traités historiques confirmant l’“extinction” des droits autochtones au profit du Dominion of Canada. » (Jean Morisset, Sur la piste du Canadien errant, Montréal, Boréal, 2018, 368 p.)
Dans une chronique parue lundi dernier, l’historien de gauche Jean François Nadeau publie une violente critique à l’égard de cette vision de l’histoire de Vaugeois où il s’insurge contre la thèse de ce dernier et de plusieurs autres historiens de l’absence chez nous d’un projet colonisateur envers les peuples autochtones. Un autre historien, dans la mouvance nationaliste pour qui j’ai beaucoup de respect, s’est à son tour élevé contre les propos du chroniqueur Nadeau l’invitant même à en débattre avec lui. Ce dernier a refusé.
Au fond, il y a ici un début de débat historique autour des propos de Denis Vaugeois recueillis par l’historien Stéphane Savard. D’un côté ceux qui croient à une exceptionnalité québécoise, à l’existence d’un peuple métissé et colonisé et de l’autre cette frange d’historiens de gauche qui nient l’existence du peuple québécois au profit d’un chapelet de minorités qui ont été exploitées et soumises au joug des blancs que nous représentons nous les Québécois. Dommage que le débat n’aura pas lieu cette fois, mais ce débat est important. Il est au centre de nos choix d’avenir. Le Québec est une nation et une société distincte et nous avons été nous aussi victimes des colonisateurs européens. Ce qui nous donne une stature intellectuelle différente dans ce débat sur le sort réservé chez nous aux Amérindiens.