La mise en scène de l’actualité
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Date: 15 avril 2020Auteur: Daniel Nadeau
En 2006, Gina Stoiciu, alors professeure au département de communication publique et sociale à L’Université du Québec à Montréal, faisait paraître aux Presses universitaires du Québec, un livre fort intéressant sur l’espace public et la mise en scène de l’information par le prisme du constructivisme social.
Intitulé Comment comprendre l’actualité. Communication et mise en scène., ce livre explore le mécanisme de construction du réel sur les différentes scènes de la vie : de l’imaginaire national aux légendes contemporaines ; de la vie institutionnelle à la scène politique et médiatique ; de la vie quotidienne à la pensée savante. Les ressorts de l’imaginaire se révèlent souvent identiques ; les gens dans leur vie quotidienne, les dirigeants sur la scène du pouvoir, les journalistes sur la scène médiatique et les savants dans leurs pratiques institutionnelles recourent sans cesse aux symboles et aux mythes, au rituel et au cérémonial. Se livrant à de fines analyses, Gina Stoiciu cherche à cerner et à mettre en contexte la dimension symbolique de la communication. D’où le titre de son livre qui est une analogie théâtrale : « la transition entre les différentes réalités et les différentes scènes de la vie sociale ressemble à un rideau qui se lève et tombe ; quand le rideau se lève, le spectateur est transporté dans un autre monde, qui n’est pas nécessairement le même que la vie quotidienne ; quand le rideau tombe, le spectateur revient à la réalité de la vie de tous les jours. »
Dans son livre, Stoiciu explore diverses scènes sur trois plans discursifs : un stock commun de connaissances (sens commun, pensée profane, esprit du temps), un réservoir de propositions spécialisées (opinions et pensées dominantes, représentations sociales) et un corps spécialisé de connaissances (pensée et propositions savantes).
De ces trois outils qui sont en fait de véritables réservoirs de sens, une pléiade d’interprétations possibles se déploie pour donner un sens à notre monde vécu.
Elle aborde ces questions en établissant d’abord la nature de chacun des registres qui loin d’être étrangères les unes aux autres sont plutôt liées de manière intrinsèque et c’est leur articulation les unes avec les autres, leur interpénétration qui permet l’émergence d’un savoir commun et partagé d’un récit commun et d’un narratif national et social. C’est en ce sens que Gina Stoiciu opine qu’il faut non savoir ce qui est dit et par qui, mais plutôt comment cela est-il construit pour créer notre réalité : « Lorsque l’on parle de reconstruction du réel, la question n’est plus de savoir qui a raison et qui parle au plus près du réel, mais comment on reconstruit un événement dans les différents registres de la connaissance. » (p. 20)
La position prise par l’auteur s’inscrit dans le champ constructiviste qui s’apparente à la sociologie de la connaissance
Dans cet ouvrage, Stoiciu défend l’idée que tout est communication. Que cela s’inscrive au sein d’un colloque, d’un repas au restaurant ou dans notre écoute des informations télévisées. Chacun de ces éléments de communication revêt un caractère symbolique propre qui est construit et reconstruit par des individus en chair et en os qui cherche à donner un sens à leur vie, se donner un récit, qui partagé deviendra le récit commun de toutes et de tous.
Par exemple, les chapitres consacrés à Lady Di et à Maurice Richard montrent des individualités singulières qui deviennent des personnages symboliques. Leur itinéraire individuel est devenu celui de tout un peuple, une nation qui s’est reconnue dans le miroir de leurs vies.
Il faut cependant se méfier des déformations des médias et de la distorsion des faits comme l’a montré son chapitre sur la chute du communisme en Roumanie où les médias sont sous l’emprise soit du scoop à tout prix ou des pressions populaires. Cela donnera lieu comme nous le savons à une effervescence mythologique.
Il y a aussi le chapitre sur l’imaginaire national ou Gina Stoiciu explore le pluralisme national et ses conséquences sur les aliments du terroir qui ont de la difficulté à se faire une place.
Le livre de Stoiciu est un bel exemple d’exercices heuristiques de communication appliquée et il est intéressant de voir que l’on peut en tirer des enseignements de nature épistémologique et heuristique. C’est de la communication appliquée qui permet de voir qu’à travers les faits de nos vies quotidiennes et de la vie en société, comprendre l’impact des communications et de la sociabilité est essentiel à la compréhension des faits sociaux et économiques.