La lutte entre l’autorité et le consentement
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Date: 19 juin 2015Auteur: Daniel Nadeau
Pour le billet de ce matin, je vous propose un texte que j’ai rédigé il y a maintenant plus de 5 ans dans le cadre de mes réflexions sur une thèse de doctorat en histoire que je n’ai pas complétée dans la foulée de la disparition de mon ami et associé Yves Bellavance. Dans ce texte, je réfléchissais en utilisant une rhétorique d’intellectuel engagé au couple conceptuel autorité-consentement. Ce texte résume fort bien les propos que j’ai tenus dans mes billets cette semaine sur la révolution numérique, ses conséquences, le pouvoir et nous. Un texte inédit qui fait la lumière sur mes profondes convictions de social-démocrate. Je résume cela par une lutte perpétuelle entre l’autorité et le consentement. Bonne lecture!
L’autorité, la fonction de gouverner, celle de décider, d’imposer à l’Autre la volonté du Nous, c’est la gouvernabilité. L’incertitude, l’inquiétude préoccupante du tout puissant, les hordes contestatrices, les consensus fabriqués, les luttes organisées, les compromis négociés, c’est la liberté. Pas la liberté idéalisée, pas la liberté que l’on revendique et pour laquelle nous donnons nos vies, non, la liberté ordinaire, la liberté du libéralisme, celle du quotidien, la liberté de l’indiscipline, des dysfonctionnements, la liberté des doutes et de la critique exprimée, mais aussi réfrénée, la liberté raisonnée de justes causes, la liberté régulée du droit de propriété, la liberté du droit d’opiner, de se réunir et de s’associer, la liberté de demander que toutes ces libertés soient légitimées. La liberté, consacrée dans des chartes, jugée par des gens qui ont titre de juges… Nos juges choisis par la gouvernabilité, par l’autorité, qui recherche notre consentement légitimé pas leurs volontés, qu’ils nous font partager, comme nos valeurs, notre identité.
Face à cette Liberté consacrée et idéalisée, il y a aussi la liberté du quotidien. La liberté façonnée par nos actions, nos craintes, nos calculs stratégiques et nos lâchetés. Cette liberté que nous avons de décider de l’éducation de nos enfants, mais pas toujours une liberté aussi vraie que nous voulons bien croire comme étant immanente, car il y a aussi les droits linguistiques qui limitent cette liberté que nous revendiquons. Il y a cette liberté quotidienne. Celle d’une multitude, gouvernée par un tribunal de suprêmes juges, qui, nous épient et nous scrutent, comme un troupeau, rassemblé dans le civisme ambiant et bienséant, marqué au fer de l’État nation, de la compétition et de la fuite en avant dans les biens de consommation.
Paraître plutôt qu’être. Gagner plutôt que coopérer. Dominer plutôt que soulager. Légiférer plutôt que discuter. Policer plutôt qu’écouter. Tels sont les mots d’ordre qui conditionnent notre imaginaire collectif à la fin XXe siècle et au début de ce siècle. Telle est la matière première du consensus social construit par les idées et les interprétations des juges, codifié dans les lois de nos assemblées représentatives qui nous ressemblent de moins en moins et, qui sont souvent porter au banc des accusations, sous de futiles motifs plutôt que sur le seul chef d’accusation qui soit véritablement fondé soit celui de crime de falsification de nos volontés.
Mais ces juges, ces hommes et ces femmes « qui font la loi entre notre nom », qui dessinent notre consentement exigé, exercent leur art « au vu et su de tous », dans les médias et avec la complicité active de « ceux qui font office de pédagogue de nos réalités en mouvance » : les experts tous azimuts, patentés d’un diplôme, d’une science qui compte, ou d’une science qui raconte. L’important c’est de justifier épistémologiquement sa légitimité, au moyen des processus cognitifs, qui cherchent à multiplier les langages, construits hermétiquement les uns par rapport aux autres, pour fuir la compréhension de notre quotidien, plutôt que chercher nos vérités au travers de nos volontés concertées. Ils se réclament de la vérité scientifique, mais jamais il n’y a la confrontation des vérités, dans leur nudité la plus esthétique possible, que devrait permettre l’arme de la théorie appuyée d’une méthodologie éprouvée.
Arrive alors les médias et son cortège d’experts, et « leurs oracles sondagiers », qui viennent nous expliquer, « Notre réalité ». Objectivité et méthodologie du non-dit, lieux où l’on érige en lois universelles de la réalité de la modernité, les fatuités de nos cerveaux emprisonnés dans le magma des intérêts des autres et des puissants qui conditionnent nos vies pour mieux se l’approprier.
Ces médias et ces experts expliquent et construisent notre imaginaire, l’influençant avec un succès toujours à démontrer et avec un savoir-faire toujours amélioré. La lutte des uns et des autres, à travers les lois et les croyances que nous avons construites, dans notre imaginaire piégé et réglementé, pour notre quête de modernité est aujourd’hui confrontée à la mouvance de notre réalité, dans des sentiers, d’une sinuosité toujours renouvelée. Il y a deux grands piliers à notre vie collective : le consentement, où les conditions de notre liberté et l’obéissance, les conditions de notre réclusion fabriqués par nos rapports sociaux, construits, de notre réalité économique et tenanciers de notre imaginaire.