Parole citoyenne et espace public
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Date: 3 juin 2016Auteur: Daniel Nadeau
Plusieurs croient à tort que les expressions « parole citoyenne », « société civile » ou encore « groupe de pression » sont nées il y a quelques décennies alors que sous d’autres vocables, ces réalités sont présentes au Québec depuis la mise en place d’une démocratie de type parlementaire au Québec et au Canada.
Rappeler ces réalités essentielles de notre histoire est important. Se rappeler d’où l’on vient est toujours utile pour savoir où l’on va. Le mérite de nous rappeler ces vérités essentielles revient aux auteurs de la dernière livraison de l’édition de l’excellente revue Bulletin d’histoire politique de ce printemps. Dans un numéro passionnant consacré aux discours politiques et aux mobilisations citoyennes, les auteurs sous la direction de l’historien Stéphane Savard de l’Université du Québec à Montréal nous trace un portrait saisissant du lien dynamique existant entre le discours des responsables politiques et ceux des acteurs de la société civile dans la recherche du « bien commun ».
Dans le récit de l’encadrement juridique de la fièvre de l’or en Beauce au XIXe siècle, la censure dont fut victime Isidore Bultuck et son journal rouge Labor, également, dans le mouvement du père jésuite Joseph-Papin Archambault qui dénonce la faible présence du français dans l’espace public montréalais au début du 20e siècle, on constate que la prise de parole citoyenne n’est pas née hier au Québec et au Canada.
Il est vrai que pendant trop longtemps les praticiens de l’histoire politique québécoise se sont évertués à nous rapporter les faits et gestes des acteurs officiels et des institutions réduisant ainsi la politique québécoise aux faits et gestes des gens importants. Pas étonnant que dans ce contexte, l’histoire politique se soit trouvée réduite à sa version « nationalo-souverainiste » et que les jeunes chercheurs se soient plus intéressés aux phénomènes sociaux de l’histoire. L’histoire sociale est devenue de loin le courant historiographique dominant dans les travaux d’historiens québécois. Pour sa part l’histoire politique traditionnelle a vécu une certaine désaffection et elle a quasi disparu dans l’ensemble des départements d’histoire des universités québécoises.
Heureusement, aujourd’hui on assiste à l’émergence d’une « nouvelle histoire politique » qui fait une large place aux faits et gestes du plus grand nombre par le prisme entre autres de la parole citoyenne : « Agissant seuls ou au sein de groupes de pression ou de mouvements sociaux, les citoyens ont la capacité de se mobiliser dans le champ politique et de mettre en place des stratégies d’habilitation citoyenne. Ils le font de deux manières principales et complémentaires : par le biais d’une prise de parole politique et par le jeu des pressions exercées à l’encontre des acteurs à l’exercice du pouvoir… Ce travail peut notamment être compris comme celui visant les transformations de la culture politique d’une société donnée. Quant à l’action de « faire pression », il s’agit de véhiculer un discours politique et de proposer des stratégies d’intervention dans le but d’appuyer, de confronter ou de nuancer les positions des acteurs à l’exercice du pouvoir; l’objectif ultime étant, pour les groupes de pression, de faire correspondre leurs intérêts personnels avec ceux plus généraux de la société. » (Stéphane Savard, « L’importance de la prise de parole » dans Bulletin d’histoire politique, vol 24, numéro 3, printemps 2016, p. 8)
Étudier la prise de parole comme historien c’est donc chercher à mieux comprendre les rapports de pouvoir au sein d’une société donnée, car la parole publique est un véritable lieu d’expression de la culture politique.
Prendre la parole comme citoyen c’est faire de la politique autrement, mais qui vise essentiellement à changer la culture politique ambiante pour la rendre plus conforme aux aspirations de celles et de ceux qui cherchent le bien commun.
Si le sujet vous intéresse, je vous recommande fortement la lecture du dernier numéro de la revue Bulletin d’histoire politique. Une revue indispensable à celles et à ceux qui veulent mieux comprendre le Québec…