Allergies et crise dans l’espace public

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Date: 8 août 2016
Auteur: Daniel Nadeau

Un fait divers a beaucoup occupé l’espace médiatique la semaine dernière. C’est l’histoire d’un client du restaurant de Sherbrooke, Le Tapageur, qui a mangé par erreur une bouchée de tartare au saumon Tartare de saumonplutôt que de tartare au bœuf qu’il avait pourtant commandé. Étant allergique au saumon, il a vécu de dures séquelles puisqu’il n’avait pas avec lui son EpiPen.

Il n’en fallait pas plus pour que la planète média s’enflamme et que l’on soit à la recherche des coupables. Est-ce la faute du serveur? Du restaurant ? Du client? Comment peut-on prévenir cela? Devrait-on obliger les restaurants à avoir en tout temps une trousse d’EpiPen disponible pour pouvoir intervenir auprès de tels clients dans ce type de circonstances? Faudrait-il former les employés des restaurants pour qu’ils soient aptes à intervenir dans de telles situations à l’avenir? Les restaurateurs devraient-ils refuser de servir des gens présentant des allergies? Cela est-il conforme à nos chartes?

Que de questions pour un fait divers somme toute banal! Cela aurait probablement été évité si le client en question, comme le recommandent les médecins à toute personne souffrant d’allergie sévère, avait eu avec lui son EpiPen et qu’il se l’était administré. Au lieu de cela, il y aura poursuite et pire encore le serveur en question pourrait se voir infliger une peine de prison pour négligence criminelle. Dans quel monde vivons-nous?

La réponse nous vivons dans un monde de déresponsabilisation collective où la fiction juridique (l’État de droit et ses chartes) vient régenter la vie réelle des gens en les déresponsabilisant. Un monde aussi où la culture publique ambiante est façonnée par une opinion publique qui englobe divers phénomènes qui constituent un réservoir de savoirs et de valeurs mobilisables dans l’espace public. « Ces éléments, nous dit Jan Spurk, se lient dans les visions du monde des acteurs de l’espace public par les enchaînements d’associations qui sont la base de leur interprétation de la réalité et du sens qu’ils lui donnent ainsi que de la communication au sein de l’espace public. Les argumentations raisonnables sont plutôt rares… » (Spurk, Jan. « L’espace public : un lieu commun » dans Pierre-Antoine Claudel, Brigitte Frelat-Kahn et Jan Spurk, Espace public et reconstruction politique, Paris, Presses des mines-Transvalor, 2015, p. 21)

Tout cela pour vous dire que dans ce dossier grossi à puissance 1000, il aurait fallu que Le Tapageur intervienne en amont dans la conversation publique. Nous aurions dû apprendre l’incident au moment où cela s’est produit et expliquer les circonstances dans lesquelles cela s’est produit. Je comprends cependant qu’au moment de l’incident, comme tout humain, nous préférons balayer cela sous le tapis en espérant que personne n’en entende jamais parler. Qui plus est, les avocats sont habituellement très frileux à ce que l’on communique dans de tels moments. Néanmoins, une communication en amont aurait évité cette pseudo-crise qui n’a que causé du tort à l’industrie de la restauration et à l’établissement où a eu lieu l’incident. Certes, on a bien récupéré la nouvelle. La performance de madame Annick Beaudoin du restaurant Auguste qui a parlé de responsabilités partagées était appropriée dans les circonstances. Cela est cependant beaucoup d’énergies parce qu’un client irresponsable n’a pas pensé à apporter son EpiPen. Vous aurez compris que je suis d’avis que le premier responsable est le porteur d’allergie. Celle des restaurateurs c’est de s’assurer de limiter au maximum les possibilités de contamination croisée, mais on ne peut quand même pas transformer les restaurants, lieux de plaisir de la bouche, en lieu de prévention des allergies. La responsabilité est avant tout celle du client. Il apporte son EpiPen où il reste chez eux…

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