L’opinion publique et les publics en mouvement
--
Date: 4 août 2017Auteur: Daniel Nadeau
Sur ce blogue, j’ai écrit de nombreux billets sur l’opinion publique. Une série de textes s’est même efforcée d’en définir les termes tout en situant ce concept dans le temps et l’évolution de sa signification. L’opinion publique est tout de même une construction de l’esprit, il faut se le rappeler. On peut sans craindre d’induire personne en erreur relier le fondement de ce concept à la thèse contenue dans le livre de Jurgën Habermas, L’espace public, archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, publié à Paris chez Payot en 1988.
Dans ce livre, qui était la thèse de doctorat de Jurgën Habermas publiée en 1962, le philosophe allemand défend l’idée du passage d’un paradigme de production à un paradigme de communication. La libération des masses opprimées passe par le triomphe de la raison dans l’espace public qui, par les débats de ses acteurs, en arrive au bien commun de tous. Cette utopie communicationnelle a été développée plus avant dans les livres ultérieurs d’Habermas sur la théorie de l’agir communicationnel.
Ce qu’il faut retenir de mon propos pour ne perdre personne c’est que les débats et les échanges des gens et des groupes dans l’espace public entrent en confrontation et que le résultat de toutes ces discussions constitue l’opinion publique. Si cette dernière est arrivée à terme grâce à une discussion raisonnée de gens de bonne foi, on devrait pouvoir atteindre le bien commun.
Cela est théorique. C’est sans compter que dans cet espace public, il y a des gens qui participent à la discussion et qui cherchent à faire triompher leur discours et leurs intérêts et faire en sorte que cet intérêt soit vu et perçu comme l’intérêt général. Un autre auteur, Antonio Gramschi, peut aussi être mis à contribution avec son concept d’intellectuel organique. Selon Gramschi, « l’organisation de la culture est “organiquement” liée au pouvoir dominant. Ce qui définit les intellectuels, ce n’est pas tant le travail qu’ils font que le rôle qu’ils jouent au sein de la société; cette fonction est toujours, plus ou moins consciemment, une fonction de “direction” technique et politique exercée par
un groupe — soit le groupe dominant, soit un autre qui tend vers une position dominante. »
« Tout groupe social, qui naît sur le terrain originaire d’une fonction essentielle dans le monde de la production économique, se crée, en même temps, de façon organique, une ou plusieurs couches d’intellectuels qui lui apportent homogénéité et conscience de sa propre fonction, non seulement dans le domaine économique, mais également dans le domaine social et politique. »
Espace public, opinion publique et intellectuel organique, voilà des concepts centraux pour comprendre le monde dans lequel nous vivons. Il faut ajouter à ces concepts majeurs pour notre compréhension celui de discours social ambiant qui a été développé par le québécois Marc Angenot, professeur de littérature à l’Université McGill. Le discours social étant « tout ce qui se dit et s’écrit. »
Personnellement, j’ajouterai pour compléter ce portrait impressionniste de l’arsenal nécessaire pour comprendre et appréhender l’opinion publique le concept de civilisation du spectacle tel que développé par le romancier nobélisé Mario Vargas Llosa qui s’est largement inspiré des thèses de Guy Debord pour écrire son livre La civilisation du spectacle dont j’ai déjà évoqué la thèse sur ce blogue.
En bref, l’opinion publique est le résultat d’un combat dans l’espace public mené par des intellectuels organiques dans le cadre d’une civilisation du spectacle et où le discours social ambiant est contaminé par divers intérêts qui s’affrontent. Dans cette arène où se déroule le combat des êtres pour de meilleures conditions de vie, il existe aujourd’hui des outils de communication d’une société en réseaux et branchée qui permettent d’espérer un combat moins inégal entre ceux qui possèdent et ceux qui n’ont rien.
L’opinion publique est la nouvelle mesure de la lutte sociale et l’arène publique et le théâtre de ces affrontements.