Les grandes figures oubliées de l’espace public québécois

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Date: 6 février 2018
Auteur: Daniel Nadeau

James Nicholson

Que vient faire James Nicholson dans cette rubrique? N’est-il pas un mécène torontois? La réponse à cette question est toute simple. Il est à l’origine de la fondation de l’un des plus formidables instruments de recherche pour les historiens canadiens soit le Dictionnaire biographique du Canada dans une version bilingue.

Dans sa dernière livraison d’hiver 2018, le Bulletin d’histoire politique, consacre un intéressant article à la création du Dictionnaire biographique du Canada sous le titre « La science historique à l’heure du bilinguisme : retour sur la création du Dictionnaire biographique du Canada » de François-Olivier Dorais. Dans cet article fouillé, on y apprend que le DBC voit le jour « grâce au don généreux d’un mécène torontois, James Nicholson, un Anglais de Liverpool, immigré au Canada au début de la trentaine en 1891. Féru d’histoire et de littérature biographique, ce riche homme d’affaires avait fortune dans le commerce des graines d’oiseaux avant de léguer, au moment de son décès, une importante somme d’argent à l’Université de Toronto, pour que cette dernière crée un dictionnaire consacré à la biographie des Canadiens.

Au cours de l’année 1959, l’historien George W. Brown, professeur à l’Université de Toronto et fort d’une longue expérience en édition, fut nommé directeur général de l’entreprise. Les Presses de l’Université de Toronto qui avaient été désignées pour éditer l’ouvrage mirent à la disposition du projet un service de rédaction, de fabrication et de diffusion… S’ensuivit, peu de temps après, l’élaboration d’une édition française avec le concours de l’Université Laval et de ses presses universitaires, qui entreprirent ce travail dès l’année 1961. À partir de ce moment, les deux presses universitaires s’associèrent à parts égales dans la production du dictionnaire, une collaboration qui se poursuit aujourd’hui » (François-Olivier Dorais, « La science historique à l’heure du bilinguisme : retour sur la création du Dictionnaire biographique du Canada » dans Bulletin d’histoire politique, Vol 26, no 2, Hiver 2018, p. 48).

Cette initiative fait partie des efforts de l’État canadien pour construire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale un imaginaire national canadien qui vient fortifier le sentiment d’appartenance des Canadiens à leur pays. S’appuyant sur le renouveau d’intérêt pour le genre biographique, cette volonté de « créer un tissu imaginaire national » au Canada pouvait aussi profiter du renouveau historiographique après le passage des totalitarismes qui avait balayé la scène européenne; « Cette poussée biographique chez les historiens de métier après la guerre est moins le résultat d’une nouvelle mode que d’une mutation profonde dans la manière dont on conçoit l’histoire et son rôle dans la restitution du passé. En effet, face à une remise en cause radicale du schème des valeurs occidentales, par les totalitarismes européens, la science historique se sent alors le devoir de réinvestir les champs des valeurs, de l’émotion et de la morale, longtemps délaissés par une historiographie qui n’en avait eu jusque-là que pour les forces économiques, sociales et géographiques. En ces heures périlleuses, il devenait nécessaire pour le Canada, pays neuf et en pleine croissance, de redécouvrir la puissance d’un patrimoine moral et de réaffirmer l’intangibilité de valeurs fondamentales, à commencer par une certaine idée de l’Homme, de sa liberté comme de sa responsabilité. » (Ibid. p. 53).

C’est ainsi que d’un mécène inconnu par la plupart des Canadiens et des Québécois est née une initiative, le Dictionnaire biographique du Canada, qui aujourd’hui encore figure parmi les plus grandes réalisations d’une idée d’un Canada bilingue construit à même ses peuples fondateurs d’origine. Un véritable classique : « D’ambitieuse entreprise d’érudition que fut le Dictionnaire biographique du Canada à sa naissance, il devint rapidement un classique de l’historiographie et de la littérature canadienne. À l’image des grands monuments architecturaux, il se présente de nos jours comme une “véritable cathédrale intellectuelle”, offrant des milliers d’entrées biographiques rigoureusement construites sur le passé. » (Ibid. p. 61).

À ce titre, pour son legs, James Nicholson mérite amplement de figurer dans notre panthéon des grandes figures publiques oubliées de notre espace public.

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