Les grandes figures oubliées de l’espace public québécois et canadien

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Date: 8 mai 2018
Auteur: Daniel Nadeau

André Laurendeau

Alors que le ministre démissionnaire du gouvernement libéral de Philippe Couillard, Jean-Marc Fournier déclare qu’il n’existe pas de fruits pour tuer dans l’œuf cette métaphore et que le fruit n’est pas mûr pour parler de la place du Québec dans le Canada, une jeune historienne, Valérie Lapointe-Gagnon vient de publier un ouvrage passionnant sur la Commission Laurendeau-Dunton. Thèse de doctorat à l’origine, ce livre nous replonge dans une période où tout était possible pour construire le Canada. On redécouvre aussi un visage marquant de l’histoire politique du Québec et du Canada : celui d’André Laurendeau.

André Laurendeau est né le 21 mars 1912 à Montréal et est décédé le 1er juin 1968 à Ottawa. Il a vécu une vie remplie étant tour à tour romancier, dramaturge, essayiste, journaliste et homme politique. Député du Bloc populaire à l’Assemblée nationale du Québec de 1944 à 1948, il fut aussi très près de la mouvance nationaliste incarnée par Lionel Groulx. Il a aussi été à la direction de la revue Action nationale. En 1947, il devient rédacteur-en-chef du journal Le Devoir puis rédacteur en chef en 1957. C’est surtout son rôle de coprésident de la Commission Laurendeau-Dunton sur le bilinguisme et le biculturalisme créé par le premier ministre libéral Lester B. Pearson qui retiendra l’attention. André Laurendeau fut un authentique nationaliste qui cherchait une voie de passage pour le Québec dans le Canada n’hésitant pas à dénoncer la discrimination systémique dont étaient victimes ses compatriotes canadiens-français surtout sur le plan économique tout en envisageant un statut particulier pour le Québec à l’intérieur du Canada.

André Laurendeau était obsédé par la place du Québec au sein du Canada. Il n’est guère étonnant qu’il se soit retrouvé à la tête de la Commission Laurendeau-Dunton qui fut un grand moment de la tentative de réconcilier le Canada et ses peuples fondateurs. Dans un éditorial du journal Le Devoir signé par André Laurendeau en mars 1962, il nous annonce les contours de ce que deviendra la Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme :

« Je demande une étude honnête de la question – et notamment une enquête systématique sur la façon dont les États où le problème se pose l’ont résolu (par exemple, la Suisse et la Belgique); une autre enquête aussi poussée que possible, sur les motifs qui empêchent à l’heure actu2elle les Canadiens français de participer autant qu’ils le devraient et le pourraient à l’administration de leur pays.

On me fera remarquer que ces suggestions ne tiennent aucun compte des frontières constitutionnelles : c’est exact. J’examine en ce moment ce que devrait être un État bilingue; or, dans une Confédération, ses pouvoirs sont morcelés. Il faudrait donc que les réformes proposées reçoivent l’adhésion de onze gouvernements. N’est-ce pas signaler au départ qu’elles sont parfaitement irréalisables? À l’heure actuelle, en tout cas, je ne pense pas que l’État central ou qu’un seul des États provinciaux soit prêt à en accepter l’idée. L’expérience pourrait être tentée d’une autre manière.

Existe-t-il, au sein du Canada anglais, des individus assez nombreux et assez éclairés pour accepter d’examiner cette utopie? J’imagine qu’ils se réunissent et qu’ils forment, avec des Canadiens français, une sorte de constituante officieuse, qu’enfin ils arrivent à se mettre d’accord sur un programme commun. Autour du programme ainsi dégagé, une campagne d’opinion est amorcée dans toutes les parties du Canada.

A-t-elle des chances de succès? Il y a quelques années, je n’aurais même pas osé poser la question. Mais deux faits, il me semble, rendent cette expérience imaginable : d’une part, la réaction d’un certain nombre d’Anglo-canadiens devant l’américanisation de notre pays : d’autre part, le séparatisme québécois. Ces deux facteurs nouveaux ont assurément modifié les vues de plusieurs Anglo-canadiens. Il s’agissait de savoir jusqu’où. » (Valérie Lapointe-Gagnon, Panser le Canada. Une histoire intellectuelle de la commission Laurendeau-Dunton, Montréal, Éditions du Boréal, 2018, p. 68-69).

André Laurendeau fut un penseur majeur de la Québécitude. Un authentique homme de la Révolution tranquille qui avait comme Jean Lesage le Canada comme pays, mais le Québec comme patrie. Son principal héritier est sans conteste l’ancien premier ministre du Québec René Lévesque. Comme lui, les volontés d’André Laurendeau se sont butées à Pierre Elliott Trudeau. André Laurendeau souhaitait un statut particulier pour le Québec. Il voulait que notre nation soit reconnue comme l’un des peuples fondateurs de ce pays s’inscrivant en cela dans les sentiers de la pensée du fondateur du journal Le Devoir, Henri Bourassa.

On ne saura jamais s’il aurait osé affronter Pierre Elliott Trudeau devenu premier ministre du Canada en 1968 au moment de sa mort et avant la remise du rapport de sa commission. Chose certaine, tous les grands éléments du débat Québec-Canada que l’on a connu par la suite se sont retrouvés au cœur des préoccupations d’André Laurendeau et faisaient l’objet de virulentes discussions au sein de ce groupe d’intellectuels. Le multiculturalisme, le sort des minorités francophones, le statut du Québec, autant de sujets qui mettaient aux prises les différents membres de la Commission Laurendeau-Dunton.

Chose certaine, les gens qui comme moi croient en un avenir du Québec au sein du Canada sont héritiers de ce grand intellectuel que fut pour le Québec : André Laurendeau.

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