Perdre la terre
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Date: 24 mars 2020Auteur: Daniel Nadeau
Hier, dans notre blogue, nous avons évoqué l’essai publié par Nathaniel Rich publié en 2019 aux éditions du Seuil qui est un récit implacable et passionnant sur notre rendez-vous manqué avec la lutte aux changements climatiques. Dans cet essai réalisé avec le soutien financier de la fondation Pulitzer, Rich a conduit plus de 100 entrevues et il fait la démonstration que depuis 1979, nous avions en main tous les éléments pour savoir ce que nous savons aujourd’hui sur le réchauffement climatique.
Si l’on en croit les propos de l’auteur, « au début des années 1980, les experts scientifiques employés par le gouvernement fédéral américain prévoyaient déjà que des preuves formelles du réchauffement climatique apparaitraient dans les relevés de température à l’échelle planétaire d’ici la fin de la décennie et qu’il serait alors trop tard pour éviter le désastre. Les États-Unis étaient à l’époque, le premier émetteur de gaz à effet de serre… » (Nathaniel Rich, Perdre la terre, Paris, Seuil, 2019, p. 17)
On proposait même d’agir : « Un rapport daté de 1980, rédigé à la demande de la Maison Blanche par l’Académie américaine des sciences (NAS) proposait que la question du dioxyde de carbone soit inscrite à l’ordre du jour international, dans un contexte qui optimisera la coopération et la recherche du consensus, et minimisera les manipulations politiciennes, la controverse et la division… Le sentiment des scientifiques et des dirigeants mondiaux était unanime : il fallait passer à l’action, et il appartenait aux États-Unis de prendre la tête de ce mouvement. Mais ils ne l’ont pas fait. » (Ibid. p. 17-18)
En lieu et place, on a plutôt eu droit à la mise en place de stratégies de relations publiques et de lobby des pétrolières et des industries liés au carbone. « Entre 2000 et 2016, raconte l’auteur, l’industrie a ainsi dépensé plus de deux milliards de dollars, soit 10 fois plus que les frais engagés par l’ensemble des associations écologistes, pour contrecarrer les projets de loi liés au changement climatique. Un pan important de la littérature consacrée au climat a dressé la chronique des machinations ourdies par les lobbyistes au service de cette industrie, des pratiques de corruption ciblant quelques scientifiques accommodants et des campagnes de communication orchestrée par les multinationales qui continuent encore aujourd’hui de fausser le débat politique, alors même que les principaux géants du pétrole et du gaz ont depuis longtemps renoncé à leur stupide numéro de déni de la réalité. » (Ibid. p.15)
Le ton du livre est donné. Un livre sans fard qui est le récit d’une histoire passionnante et fascinante où nous lecteurs sommes placés à la table des négociations où nous pouvons entendre les silences coupables, les renoncements et la couardise de ceux qui entre eux discutait de ces questions. De façon impitoyable, Perdre la terre est un roman sans pitié de nos occasions manquées avec notre rendez-vous pour juguler le réchauffement climatique et la catastrophe appréhendée qui sera aussi dommageable à notre tissu social et économique que l’actuelle pandémie de coronavirus.
S’il n’est jamais trop tard pour agir, il commence à avoir une urgence pour une action structurante afin de diminuer notre production de gaz à effet de serre et pour réussir à éviter le pire du réchauffement de notre planète. Un livre comme celui de Nathaniel Rich cultive une indignation nécessaire et est empreint d’humanité. Il est une lecture utile pour quiconque doute encore de l’imminence de la crise climatique.