Ce blogue sera le dernier pour un certain temps. Chaque jour, je vous ai habitué à lire des commentaires sur l’actualité, sur les communications, sur l’espace public, sur des stratégies des uns et des autres. En cette période de confinement, l’inspiration s’est évanouie, écrire chaque jour un billet sur un sujet d’actualité demande de l’effort et de l’imagination. Aujourd’hui, je n’ai plus envie d’écrire sur la pandémie et sur ses conséquences, je répète jour après jour les mêmes choses. C’est le jour de la marmotte, la reproduction du même.
C’est ce qui explique ma décision de suspendre pour un temps indéterminé mes activités sur ce blogue.
À bientôt,
Daniel Nadeau
Commenter (0)Peter Dahlgren, que j’évoquais hier dans ce blogue, a dirigé un recueil d’articles avec son collègue Colin Sparks qui s’intéresse au rôle des médias dans la construction d’un espace démocratique en usant du concept habermassien d’espace public. Il s’agit du livre publié en 1993 chez Routledge intitulé : Communication and Citizenship: Journalism and The Public Sphere.
Ce livre aborde une question qui est de plus en plus au centre du débat académique et journalistique : dans quelle mesure les médias des sociétés modernes sont-ils capables d’aider les citoyens à en apprendre davantage sur le monde, à débattre de leurs réponses et à obtenir des informations sur les actions à adopter ? Les médias peuvent-ils jouer un rôle dans la formation d’une sphère publique à un moment où la radiodiffusion de services publics est attaquée, et où la presse populaire produit des potins de célébrités et de l’information spectacle, sensationnaliste et trivialisée ?
Les contributions des divers auteurs de ce livre, ils sont onze, ont pour origine le colloque organisé en mai 1989 au Centre interuniversitaire de Dubrovnik en Croatie tenu sous les auspices du Département de journalisme, des médias et des communications.
Le sujet est le concept de sphère publique d’Habermas en lien avec le développement des médias de masse tant en Europe qu’aux États-Unis. Il est discuté dans ce livre comme un concept opératoire pour étudier à la fois le développement de l’opinion publique en lien avec le vouloir-vivre ensemble démocratique.
Dans ces diverses contributions, selon diverses approches, il est établi que le modèle d’Habermas n’est pas sans défaut et que ses limites nécessitent de nouvelles approches : « L’histoire n’est pas statique, et la sphère publique dans la situation contemporaine est conditionnée par d’autres circonstances historiques et est (espérons-le) imprégnée d’autres potentialités. Dans la mesure où l’on se préoccupe de la dynamique de la démocratie, nous avons besoin d’une compréhension de la sphère publique qui soit conforme aux réalités émergentes d’aujourd’hui et utilisable à la fois pour la recherche et la politique. Cela implique de se réconcilier avec l’analyse de Habermas, de l’intégrer et de la modifier dans de nouveaux horizons intellectuels et politiques. » (p. 2-3)
Parmi les nouveaux horizons qu’ouvrent les perspectives de ces diverses contributions, le plus important c’est le constat du pluralisme et de la dynamique de la sphère publique qui vient inverser le contrôle traditionnel des médias traditionnels et leur emprise sur l’espace public. Cette nouvelle configuration de l’espace public en lien avec le développement économique et social peut être résumé en quatre éléments fondamentaux : « In particular, if we now synthesize the four elements of this configuration – crisis of the state, audience segmentation, the new movements and the available communication technologies – we see the contours of historically new conditions for the public sphere, a new nexus to set in contrast to the dominant one of the corporate state and the major media. » (p. 14)
De tous ces auteurs, trois contributions ont particulièrement retenu mon attention, il s’agit de celle de James Curran, Rethinking the media as a public sphere, Paolo Mancini, The public sphere and the use of news in a coalition system of government et celle de Michael Gurevitch, Mark.R. Levy et Itzak Roeh, The global newsroom: convergences and diversities in the globalization of television news.
L’article de James Curran compare les diverses approches théoriques concernant le rôle des médias dans l’espace public principalement l’approche libérale et l’approche de la théorie démocratique radicale. Il cherche à tracer une troisième voie pour repenser le rôle des médias dans l’espace public. Après avoir rappelé que dans l’approche libérale, les médias sont vus comme le lieu d’une lutte, un champ de bataille entre des forces sociales qui s’opposent et selon cette conception ils jouent un rôle d’arbitre entre les forces antagonistes : « Une exigence fondamentale d’un système de médias démocratiques devrait donc être qu’il représente tous les intérêts importants de la société. Il devrait faciliter leur participation au domaine public, leur permettre de contribuer au débat public et d’avoir une contribution à l’élaboration de la politique publique. Les médias devraient également faciliter le fonctionnement des organisations représentatives et exposer leurs processus internes au contrôle du public et au jeu de l’opinion publique. En bref, un rôle central des médias devrait être défini comme l’assistance à la négociation équitable ou à l’arbitrage d’intérêts concurrents par le biais de processus démocratiques. » (p. 30)
Pour ceux qui croient à l’approche démocratique radicale, les médias sont au service des élites. Ils présentent généralement un visage du monde qui souffre de distorsions en présentant les injustices structurelles comme des faits divers ou des malchances. Pour les tenants de cette approche, les médias doivent jouer le rôle de redresseur de torts et ils doivent favoriser un plus grand accès de tous. « Surtout, cela signifie élargir l’accès au domaine public dans les sociétés où les élites y ont un accès privilégié. Cela signifie également une compensation pour les ressources et les compétences inférieures des groupes subordonnés dans la défense et la rationalisation de leurs intérêts par rapport aux groupes dominants. » (p. 30)
Après avoir discuté et critique la propriété privée des médias ou la propriété collective, Curran examine quatre expériences vécues dans des pays différents. Il conclut en disant que la question de fond est à savoir comment le système médiatique peut être construit de façon à favoriser l’expression de toutes les opinions et les forces sociales dans l’espace public. Il conclut que la solution est dans un système hybride : « Ils ont tous un point commun : ils marient une approche collectiviste des processus de marché. Ils représentent ainsi une tentative de définir une troisième voie supérieure aux marchés défaillants et aux politiques collectivistes. Leur objectif est de recréer les médias en tant que sphère publique sous une forme relativement autonome du gouvernement et du marché. » (p. 52)
Pour sa part. Paolo Mancini étudie le rôle des médias en Italie en mode de gouvernement de coalition à un moment où il constate que la communication politique se personnalise et prend des accents dramatiques comme mode d’exposition au grand public. Il constate que les journalistes sont souvent des agents publicitaires pour les partis en présence et que la communication politique est souvent un spectacle. (p.160-161)
Enfin, dans son article Gurevitch, constate que même si les images télévisuelles se mondialisent, le public lui pense localement, car les codes sociaux pour interpréter ce qu’il voit ne sont pas les mêmes d’un pays a un autre. Ce qui fait dire à l’auteur que l’on se retrouve dans une sorte de tour de Babel plutôt que dans un monde de citoyenneté globale d’un public raisonné. (p. 214-215)
s médias et la démocratie
Peter Dahlgren, que j’évoquais hier dans ce blogue, a dirigé un recueil d’articles avec son collègue Colin Sparks qui s’intéresse au rôle des médias dans la construction d’un espace démocratique en usant du concept habermassien d’espace public. Il s’agit du livre publié en 1993 chez Routledge intitulé : Communication and Citizenship: Journalism and The Public Sphere.
Ce livre aborde une question qui est de plus en plus au centre du débat académique et journalistique : dans quelle mesure les médias des sociétés modernes sont-ils capables d’aider les citoyens à en apprendre davantage sur le monde, à débattre de leurs réponses et à obtenir des informations sur les actions à adopter ? Les médias peuvent-ils jouer un rôle dans la formation d’une sphère publique à un moment où la radiodiffusion de services publics est attaquée, et où la presse populaire produit des potins de célébrités et de l’information spectacle, sensationnaliste et trivialisée ?
Les contributions des divers auteurs de ce livre, ils sont onze, ont pour origine le colloque organisé en mai 1989 au Centre interuniversitaire de Dubrovnik en Croatie tenu sous les auspices du Département de journalisme, des médias et des communications.
Le sujet est le concept de sphère publique d’Habermas en lien avec le développement des médias de masse tant en Europe qu’aux États-Unis. Il est discuté dans ce livre comme un concept opératoire pour étudier à la fois le développement de l’opinion publique en lien avec le vouloir-vivre ensemble démocratique.
Dans ces diverses contributions, selon diverses approches, il est établi que le modèle d’Habermas n’est pas sans défaut et que ses limites nécessitent de nouvelles approches : « L’histoire n’est pas statique, et la sphère publique dans la situation contemporaine est conditionnée par d’autres circonstances historiques et est (espérons-le) imprégnée d’autres potentialités. Dans la mesure où l’on se préoccupe de la dynamique de la démocratie, nous avons besoin d’une compréhension de la sphère publique qui soit conforme aux réalités émergentes d’aujourd’hui et utilisable à la fois pour la recherche et la politique. Cela implique de se réconcilier avec l’analyse de Habermas, de l’intégrer et de la modifier dans de nouveaux horizons intellectuels et politiques. » (p. 2-3)
Parmi les nouveaux horizons qu’ouvrent les perspectives de ces diverses contributions, le plus important c’est le constat du pluralisme et de la dynamique de la sphère publique qui vient inverser le contrôle traditionnel des médias traditionnels et leur emprise sur l’espace public. Cette nouvelle configuration de l’espace public en lien avec le développement économique et social peut être résumé en quatre éléments fondamentaux : « In particular, if we now synthesize the four elements of this configuration – crisis of the state, audience segmentation, the new movements and the available communication technologies – we see the contours of historically new conditions for the public sphere, a new nexus to set in contrast to the dominant one of the corporate state and the major media. » (p. 14)
De tous ces auteurs, trois contributions ont particulièrement retenu mon attention, il s’agit de celle de James Curran, Rethinking the media as a public sphere, Paolo Mancini, The public sphere and the use of news in a coalition system of government et celle de Michael Gurevitch, Mark.R. Levy et Itzak Roeh, The global newsroom: convergences and diversities in the globalization of television news.
L’article de James Curran compare les diverses approches théoriques concernant le rôle des médias dans l’espace public principalement l’approche libérale et l’approche de la théorie démocratique radicale. Il cherche à tracer une troisième voie pour repenser le rôle des médias dans l’espace public. Après avoir rappelé que dans l’approche libérale, les médias sont vus comme le lieu d’une lutte, un champ de bataille entre des forces sociales qui s’opposent et selon cette conception ils jouent un rôle d’arbitre entre les forces antagonistes : « Une exigence fondamentale d’un système de médias démocratiques devrait donc être qu’il représente tous les intérêts importants de la société. Il devrait faciliter leur participation au domaine public, leur permettre de contribuer au débat public et d’avoir une contribution à l’élaboration de la politique publique. Les médias devraient également faciliter le fonctionnement des organisations représentatives et exposer leurs processus internes au contrôle du public et au jeu de l’opinion publique. En bref, un rôle central des médias devrait être défini comme l’assistance à la négociation équitable ou à l’arbitrage d’intérêts concurrents par le biais de processus démocratiques. » (p. 30)
Pour ceux qui croient à l’approche démocratique radicale, les médias sont au service des élites. Ils présentent généralement un visage du monde qui souffre de distorsions en présentant les injustices structurelles comme des faits divers ou des malchances. Pour les tenants de cette approche, les médias doivent jouer le rôle de redresseur de torts et ils doivent favoriser un plus grand accès de tous. « Surtout, cela signifie élargir l’accès au domaine public dans les sociétés où les élites y ont un accès privilégié. Cela signifie également une compensation pour les ressources et les compétences inférieures des groupes subordonnés dans la défense et la rationalisation de leurs intérêts par rapport aux groupes dominants. » (p. 30)
Après avoir discuté et critique la propriété privée des médias ou la propriété collective, Curran examine quatre expériences vécues dans des pays différents. Il conclut en disant que la question de fond est à savoir comment le système médiatique peut être construit de façon à favoriser l’expression de toutes les opinions et les forces sociales dans l’espace public. Il conclut que la solution est dans un système hybride : « Ils ont tous un point commun : ils marient une approche collectiviste des processus de marché. Ils représentent ainsi une tentative de définir une troisième voie supérieure aux marchés défaillants et aux politiques collectivistes. Leur objectif est de recréer les médias en tant que sphère publique sous une forme relativement autonome du gouvernement et du marché. » (p. 52)
Pour sa part. Paolo Mancini étudie le rôle des médias en Italie en mode de gouvernement de coalition à un moment où il constate que la communication politique se personnalise et prend des accents dramatiques comme mode d’exposition au grand public. Il constate que les journalistes sont souvent des agents publicitaires pour les partis en présence et que la communication politique est souvent un spectacle. (p.160-161)
Enfin, dans son article Gurevitch, constate que même si les images télévisuelles se mondialisent, le public lui pense localement, car les codes sociaux pour interpréter ce qu’il voit ne sont pas les mêmes d’un pays a un autre. Ce qui fait dire à l’auteur que l’on se retrouve dans une sorte de tour de Babel plutôt que dans un monde de citoyenneté globale d’un public raisonné. (p. 214-215)
Commenter (0)Dans un article publié dans la revue Réseaux en 2000, Peter Dahlgren explore la relation entre les médias de masse, Internet et l’espace public. Suédois, Dahlgren a fait des études aux États-Unis et est professeur à l’Université Lund en Suède. Ii s’est intéressé tout particulièrement à une variété de thèmes qui se regroupent autour de l’idée d’une participation civique dans le processus politique et de l’importance des médias à cet égard. Cette œuvre a été encadrée par un certain nombre d’horizons conceptuels, y compris des théories de la sphère publique et des transitions socioculturelles de la modernité tardive. La notion d’identité a également eu une place centrale, d’autant plus qu’elle concerne l’émergence d’un soi civique ou politique.
Plus largement, son travail se concentre sur les médias et la démocratie, depuis les horizons de la théorie sociale et culturelle moderne tardive. Plus précisément, j’aborde souvent le thème de la participation démocratique, en particulier en ce qui concerne les médias numériques. J’explore des facteurs qui peuvent à la fois promouvoir et entraver l’engagement civique. Actif dans les réseaux universitaires et les événements européens, il a été chercheur invité dans plusieurs universités, notamment en France, ainsi qu’en Écosse, en Afrique du Sud et aux États-Unis. Ses publications récentes comprennent Media and Political Engagement (Cambridge University Press, 2009), le volume co-édité Young People, ICTs and Democracy (Nordicom, 2010), ainsi qu’une série d’articles de revues et de chapitres de livres.
Dans cet article, Peter Dahlgren explore le rôle joué par les nouveaux médias de masse par le biais d’Internet en cherchant à saisir les impacts de ceux-ci sur notre compréhension du concept d’espace public d’Habermas.
Partant de l’idée d’un espace public et de médias qui rendent « … visible la politique (et la société). Diffusant des informations et des analyses, proposant des forums de débats, les médias alimentent la culture civique commune et participent incontestablement de l’espace public. » (p. 159.) C’est dans ce contexte que Dahlgren s’interroge sur les conséquences de l’arrivée de nouveaux médias propulsés par le Web sur l’espace public et la contribution de ces médias dans le débat démocratique contemporain.
Ainsi Peter Dahlgren revisite le concept d’espace public en rappelant d’abord quelques éléments caractéristiques de l’argumentation originale. Puis, il soumettra cet espace public « revampé » à une perspective s’appuyant sur trois dimensions interreliées : structurelle, spatiale et communicative. Enfin, il dit qu’il examinera ensuite de façon « schématique l’internet du point de vue de ces trois dimensions et je conclurai par quelques brèves réflexions sur le potentiel du net dans l’espace public de l’Union européenne. » (p. 161)
L’auteur est d’avis que la pensée d’Habermas sur l’espace public est très marquée par d’une part la théorie critique de l’École de Francfort et, en second lieu, par sa critique de la société de masse en la regardant en surplomb dans une perspective néo-marxiste pour en faire une critique du capitalisme avancé et des sociétés industrielles. (p. 162)
Dahlgren opine que dans le fond cette approche critique néo-marxiste n’est pas si éloignée, en termes pratiques, écrit-il des « … horizons normatifs des traditions libérales ou progressistes qui promeuvent le bon journalisme ou l’information dans l’intérêt public ne sont pas si différents des idéaux des médias inspirés par la structure critique de l’espace public. » (p. 162)
Dahlgren croit qu’étant donné cet état de fait il serait plus productif d’examiner le concept d’espace public en réfléchissant aux rapports entre média, communication et démocratie de préférence à chercher à attendre un consensus artificiel. Pour lui, ces trois dimensions sont fondamentalement inséparables quand on réfléchit à la démocratie en lien avec l’Internet. (p. 163)
Les trois dimensions mises en lumière sont la dimension structurelle qui fait reposer ce concept sur l’idée d’universalité et d’accessibilité, l’exclusion d’un groupe ou d’un autre pose un grave problème à la prétention de démocratie lié à l’universalisme du modèle. De même, la concentration de la propriété des médias, le processus de marchandisation et le populisme qui mène à la trivialisation et au sensationnalisme sont aussi des maux qui viennent interroger les pratiques journalistiques. Enfin, « les hiérarchies sociales, l’économie, les conditions de travail, le bien-être, l’éducation et les modèles culturels sont des liants essentiels de l’espace public en ce qui concerne l’interaction et l’engagement des citoyens. » (p. 164)
Pour résumer la pensée de l’auteur, il affirme que le Net vient renforcer la possibilité de l’existence d’un véritable espace public : « La notion d’action communicationnelle intersubjective proposée par Habermas se manifeste elle-même sur le net, si elle se trouve marginalisée et menacée par la prégnance des actions stratégiques, c’est-à-dire par la communication instrumentale et manipulatrice soumise à la logique de l’économie et du pouvoir. Bien que toute interaction discursive ait des limites structurelles et contextuelles, le fait qu’une forme de communication non contrôlée existe bel et bien sur quelques espaces du net constitue une pierre angulaire pour son rôle dans l’espace public. » (p.178) La seule ombre au tableau et qu’il faut prendre en compte c’est que le net tend à déterritorialiser et qu’un espace public ne peut exister réellement dans ses termes de démocratie qu’au sein d’un État-nation territorialisé. Cela est cependant jouable puisque : Les paramètres territoriaux ne disparaissent pas aussi facilement : les gouvernements protègent toujours leurs frontières, les gens entretiennent des identités géographiques ancrées et la vie sociale locale est toujours là. De plus, une grande part de la vie sociale, et en particulier ses aspects politiques, reste fondée sur le lieu et ses démarcations.
Il garde espoir cependant que le Net soit porteur d’un élargissement d’un espace public plus démocratique en pensant à L’Union européenne : « Étant donné le caractère encore plutôt anarchique du net, nous pouvons nous accrocher à l’espoir qu’il sera de plus en plus utilisé, au sein de l’UE, par des groupes ne faisant pas partie de l’élite, par exemple des groupes de citoyens, des mouvements sociaux et d’autres activistes, de manière à produire des espaces publics alternatifs et des interventions politiques significatives. » (p. 182)
Il est clair cependant pour Dahlgren que l’Internet peut changer la vie politique, mais il croit qu’il faudra être attentif pour observer si assez de gens seront motivés pour se considérer à la fois comme des citoyens d’une démocratie nationale et transnationale. Le Net est une occasion. (p. 183)
Commenter (0)Bernard Miège publie en 2010 un livre aux Presses universitaires de Grenoble sur l’espace public. Miège est un chercheur en science de l’information et de la communication. Il a été président à l’Université de Grenoble de 1989 à 1994 pour y devenir par la suite professeur émérite. Selon la page Wikipédia qui lui est consacrée, Bernard Miège est connu pour ses travaux sur les médias, les industries culturelles et sur l’espace public. Il a été cofondateur avec Yves de La Haye du Groupe de recherche sur les enjeux de la communication. Il a publié une quinzaine de livres, une trentaine d’études et de rapports et a dirigé plus de 105 thèses de doctorat. On peut dire que c’est un personnage important dans le paysage intellectuel français dans le champ de la communication et de l’information. Le livre que nous lisons dans le cadre du présent exercice est présenté par son auteur comme la somme de son œuvre sur l’espace public contemporain auquel il a consacré de nombreux articles et ouvrages depuis les années 1990. (p. 7)
Ce livre traite des fondements théoriques de l’espace public et de ses modalités de fonctionnement. Une question que Miège juge essentielle lorsqu’il est question de la publicisation, de la mise en visibilité sociale et de la médiatisation. Quatre enjeux majeurs sont en question : les rapports entre démocratie, politique et société ; l’enjeu de la forme que revêt l’espace public dans une relation de tension entre son caractère universel et les contours nationaux des États-nations où il se déploie ; l’enjeu des médias lui-même comme vecteurs du discours public et l’enjeu des mutations sociotechniques en cours qui viennent moduler l’accessibilité des acteurs à l’espace public. (p. 8-9)
Miège se propose donc d’examiner dans ce livre la contextualisation de l’espace public dans un cadre politique, culturel, sociétal et économique. C’est ce cadre complexe qui sera décisif pour l’auteur pour comprendre l’espace public contemporain. Dans son livre, l’auteur abordera le sujet de l’espace public contemporain en sept chapitres ; les repères socio-historiques et géopolitiques ; examen des thèses habermassiennes, les discussions et les débats centraux au concept d’espace public ; la médiation de l’espace public ; la question des médias et des nouveaux médias et des non-médias ; les cadres contemporains de l’espace public et enfin les dimensions sociétales et politiques de l’espace public.
Tout l’ouvrage se situe dans la filiation de la pensée d’Habermas sur le concept d’espace public, mais en dialogue avec de nombreux critiques
Miège se situant dans l’héritage d’Habermas revoit et critique son modèle d’espace public en regard du fait que celui-ci revêt les formes de la société où il se déploie. Il attribue à l’espace public contemporain des caractéristiques essentielles qui sont : « L’asymétrie ; l’apparition de nouvelles modalités d’exercice des interactions sociales ; l’éclatement et le morcellement des espaces ; l’inégalité de participation aux espaces publics ; l’interpénétration relative de la vie privative et de la vie professionnelle ; et la tendance à l’individualisation des pratiques communicationnelles. » (p.172) Miège tout comme Dahlgren reconnait la configuration de l’espace public contemporain qui n’est pas un modèle universel, mais qui se formalise selon les lieux par des dimensions structurantes : « les médias en tant qu’institutions ; les représentations symboliques et rhétoriques produites par les médias ; les structurations sociales et les interactions sociales subjectives et identitaires. » (p.173)
Au terme de sa réflexion, Miège en tire trois enseignements : le premier c’est sa conviction que l’espace public contemporain ne doit pas échapper à une réflexion épistémologique ou herméneutique (Foucault) et à des recherches dans le cadre de sciences sociales et de ses moyens d’investigation et d’enquête. En second lieu, il est d’avis que l’espace public est une construction sociale d’abord à cause des formes par lesquels il se réalise et par ses vecteurs principaux par lesquels il se déploie soit les systèmes des médias qui servent de vecteurs à l’expression des opinions et qui en balisent l’accessibilité aux différents groupes sociaux et enfin, en dernier lieu, de l’importance primordiale de la communication pour sa réalisation : « En troisième et dernier lieu, on mettra l’accent sur le fait que l’EP, tel qu’il s’offre à voir dans les sociétés contemporaines et particulièrement dans ses développements les plus récents, est une des composantes (premières) de la communication moderne, c’est-à-dire de l’information – communication. Mais cette proposition que j’ai cherché à valider tout au long de cet ouvrage, doit être précisée : 1o elle suppose de ne pas mêler les procès info-communicationnels à l’œuvre au sein de l’EP avec ceux marquant les médiations ou la communication publique (avec qui ils sont régulièrement confondus) ; 2o elle implique de ne pas être sous-tendue par une vision instrumentale des médias et de la communication, ce que j’ai envisagé tout particulièrement dans les analyses portant sur le système des médias, sur le rôle des TIC, etc. ; 3o elle peut être tenue pour une dimension transversale, mais partielle permettant d’appréhender le sociétal et le politique ; et 4o elle éclaire l’importance accordée par des acteurs sociaux dans la dernière période et dans des contextes socio-historiques et socio-politiques différents, à des phénomènes tels que : les processus communicatifs délibératifs, l’émergence des Tic, la création des communautés sur le Net voire a contrario les méthodes de plus en plus raffinées et peu transparentes de la communication politique, ainsi que de la communication publique. » (p. 209)
Commenter (0)Jean Mouchon est professeur à l’Université de Paris X-Nanterre. Il dirige le Centre de recherches en sciences de l’information et de la communication. Publié à Paris en 2005, Les mutations de l’espace public regroupe les contributions de dix auteurs et est le résultat des recherches menées au sein d’un séminaire doctoral de l’Université de Paris X. Jean Mouchon a pris un soin particulier pour regrouper un collectif de chercheurs aux profils diversifiés et de générations différentes. En fait, cet ouvrage est enrichi par ses contributions qui généralisent une vérité de plus en plus présente dans les recherches en sciences sociales : « … la recherche en sciences sociales s’enrichit quand elle prend appui sur différents modes de pensée. Confronté à l’ampleur et à la radicalisation des changements provoqués par les révolutions technologiques, par le délitement des structures traditionnelles de socialisation ou par la montée du consumérisme et de l’individualisme, le chercheur doit faire effort pour renouveler ses méthodes et ses systèmes de référence. Rendre compte de situations nouvelles oblige à un effort de décentrement personnel et de discernement constant pour voir clair entre l’identification des faits attestés, la nature de leur portée (conjoncturelle ou structurelle) et les enjeux qu’ils soulèvent dans une période de redéfinition des assises de la démocratie. » (p. 10)
Dans cet ouvrage, les collaborateurs prennent acte du règne de la communication comme nouvelle impératrice du monde. C’est le nouveau mode de gouvernance qui est caractérisé par l’émergence de forums électroniques par la voie du Web avec la montée des médias sociaux, les mobilisations collectives et individuelles par le Net, la désaffection des citoyennes et des citoyens pour la chose politique sont autant d’indices majeurs de la reconfiguration de l’espace public. C’est de ces sujets que traitent les différents auteurs dans cet ouvrage collectif développé dans le cadre de son séminaire de doctorat tenu à l’Université de Paris X-Nanterre au tournant des années 2000. Les divers auteurs adoptent une double perspective soit de mesurer les mutations de l’espace public délibératif et de développer un regard global dans une compréhension renouvelée des mobilisations nouvelles qui apparaissent dans l’espace public et qui viennent redéfinir le processus de la participation des groupes et des personnes à l’espace public démocratique, siège de nos discussions sous le mode délibératif. Dans les mots de Jean Mouchon cela signifie que : « Le constat de la modification des formes de politisation est commun à l’ensemble du monde occidental. L’abandon des références traditionnelles génère, comme souvent dans ces cas, sa foison de discours attristés. Mais, la déploration du temps présent et la célébration mythique du temps perdu ne peuvent tenir lieu de fondement à un projet de recherche. » (p. 13)
C’est dans cet esprit que dans ce livre, on fait état des chiffres qui attestent de la désaffection individuelle comme dans les textes de Gingras, Mouchon et Mercier : baisse des taux d’adhésion aux organisations syndicales, aux partis politiques, diminution de la fréquentation religieuse et moins de participation aux associations volontaires comme les organisations de parents, etc. D’autres auteurs attestent que les changements sont aussi perceptibles dans la prise de décision politique par la mise en place de nouvelles instances de décision et par l’émergence de nouvelles structures originales comme les Conférences de consensus au Danemark imité en France avec les conférences des citoyens. Ces nouvelles formes qui souhaitent remettre en scène la voix du citoyen sont aussi parties du processus de redéfinition sont un progrès dans un pays centralisé comme la France, mais nous dit Jean Mouchon, « … plusieurs réserves sont à apporter à un processus dont il est craint qu’il se réduise à une forme modernisée de consultation publique et s’arrête au gué de la décision… La recherche du consensus prôné comme moteur de la délibération ne risque-t-elle pas de masquer aussi les inégalités de force et d’influence des groupes et des acteurs de la société ? » (p. 15) Ce sont ces questions que posent les textes de Mouchon et de Gingras dans cet ouvrage.
Bref, si nous avons voulu vous entretenir des questionnements et des perspectives adoptées par les différents auteurs, il n’en reste pas moins que ces contributions sont aussi très pratico-pratiques. Ainsi, Anne-Marie Gingras s’interroge sur la question du e-gouvernement qui nie l’action collective au profit de l’action individuelle. Pour sa part, Amar Lakel se demande si les NTIC ne sont pas le vecteur d’un véhicule pour répondre à la satisfaction personnelle au détriment de la recherche d’une pratique de délibération mettant en scène la Raison (p. 16) Mayila Paroomal s’intéresse à la profondeur des mutations à partir de l’expérience de l’île Maurice tandis que Patrick Amey et Gaétan Clavien traitent à l’évolution de l’imaginaire politique dans les magazines et la télévision suisse romande. Deux contributions enfin, celle de Brigitte Juanals qui s’intéresse pour sa part à la genèse de la création de la discipline des sciences de l’information et de la communication alors qu’Arnaud Mercier publie un texte programmatique sur les sciences de la communication politique. (p.16-17)
La thèse commune à toutes ces contributions est lisible dans le titre de l’ouvrage, voir et constater, comprendre les mutations de l’espace public en regard de la démocratie. On voit dans cet ouvrage la préoccupation des auteurs à répertorier de nouvelles formes de citoyenneté non pas pour déplorer la disparition des anciennes, mais plutôt pour identifier et observer des points de passage, de continuité et de rupture, thèmes chers à un historien, qui viennent reconfigurer l’espace public délibératif démocratique. Certes, ces manifestations de formes émergentes nouvelles de reconfiguration ne garantissent pas une participation plus grande des citoyennes et des citoyens à la participation, à la décision et à l’élaboration de programmes vraiment publics s’intéressant au bien commun.
Citons Jean Mouchon dans la conclusion de cet ouvrage. Cela résume bien le propos que nous retrouvons dans ce livre qu’importent les auteurs : « L’information et la communication dont le questionnement est croisé avec le développement des techniques et le pouvoir des médias sont devenues des enjeux complexes de la société contemporaine, caractérisés à la fois par les médiations de masse et la montée de l’individualisme. Le refus de l’utopie portant sur une démocratie généralisée, qui serait apportée par des outils, génère le besoin de réfléchir sur les formes de médiation et de la médiatisation des échanges (de leur nature, de leurs formes et de leurs modes de réalisation) ainsi que les enjeux d’hégémonie – politique, économique et culturelle… – qui pourraient en résulter… À cet égard, des approches historiques et anthropologiques, qui prennent en compte les identités culturelles et les systèmes symboliques, sont à même d’appréhender la richesse et la complexité des objets communicationnels, tout en faisant ressortir les changements actuels… La communication est replacée dans son contexte social ; elle interroge la possibilité d’une médiation démocratique au sein de l’espace public en intégrant la modernité de performances technologiques. En cette période de mutation, la démocratie, la liberté de la parole individuelle, en corrélation d’un débat collectif, constituent les enjeux majeurs d’un projet de société. Des interrogations plus générales sur le modèle de société qui se dégage, au travers de ses choix en matière de communication et de technologie, font apparaître le besoin d’une position distanciée et critique détachée de l’événement médiatique et inscrite dans la longue durée, pour appréhender les médias en cours. » (p. 276-277)
Commenter (0)L’espace public d’Habermas et ses premières critiques anglo-saxonnes
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Date: 24 avril 2020Auteur: Daniel Nadeau
Craig Calhoun a publié en 1992 le principal recueil critique à l’endroit du concept d’espace public de Jürgen Habermas à l’occasion de la traduction en anglais de son livre sur l’espace public. Cela a eu lieu dans le cadre d’un colloque auquel a participé Jürgen Habermas. Ce livre publié au Massachusset University Press sous le titre Habermas and the Public Sphere. Craig Calhoun est professeur de sociologie et d’histoire et directeur du programme de théorie sociale et des études transculturelles à l’Université de Caroline du Nord de Chapel Hill au moment de la publication de cet important et fondamental livre sur l’espace public et le concept de Jürgen Habermas. Rappelons que ce recueil d’articles auquel ont participé plus de 50 philosophes, anthropologues, historiens, germanistes et sociologue dont Jürgen Habermas lui-même qui commente les contributions à la fin de ce livre.
Ce livre a été publié à l’occasion de la traduction en anglais de l’ouvrage d’Habermas intitulé : The Structural Transformation of Public Sphere. Cet ouvrage est apparu 27 ans après sa publication originale en langue anglaise et il était attendu de la communauté scientifique.
À l’occasion de ce colloque, les intentions des organisateurs c’était d’informer la communauté scientifique des problèmes liés à la relation entre l’État et la société civile, les origines de la démocratie et des institutions démocratiques, l’impact des médias sur la démocratie.
Le sujet de ce livre est de discuter de la théorie de l’espace public de Jürgen Habermas dans la vision défendue d’Habermas qui s’appuyant sur Emmanuel Kant et Hegel défend l’idée d’une sphère publique bourgeoise où la raison devient la norme et que les discours raisonnés prennent le pas sur les notions de tradition. Nous sommes au cœur de l’exploration du monde de la modernité imaginée par Habermas et discutée dans plusieurs autres ouvrages dont ceux liés à l’agir communication et au discours sur la modernité. Même si Habermas rejette certains pans de la pensée de Kant, il est d’accord avec lui sur le concept de la rationalité dans la conduite des affaires communes : « Though Habermas rejects Kantian epistemology and its corollary ahistorical exaltation of philosophy as an arbiter and foundation of all science and culture, in his recent work he nonetheless argues that something remains crucial from the Kantian view of modernity. Above all else, this is a notion of procedure rationality and its ability to give credence to our views in the three areas of objective knowledge, moral-practical insight and aesthetic judgment. This procedural rationality is fundamentally a matter of basing judgment on reasons. Habermas’s task in Structural Transformation is to develop a critique of this category of bourgeois society showing both (1) its internal tensions and the factors that led to its transformation and partial degeneration and (2) the element of truth and emancipatory potential that is contained despite its ideological misrepresentation and contradictions. » (p. 2)
Dans le livre, les divers auteurs viendront commenter, discuter et critiquer la théorie suivante de Jürgen Habermas : « The early bourgeois public spheres were composed of narrow segments of the European population, mainly educated, propertied men, and they conducted a discourse not only exclusive of others but prejudicial to the interests of those excluded. Yet the transformations of the public sphere that Habermas describes turn largely on its continual expansion to include more and more participants (as well as on the development of large-scale social organizations as mediators of individual participation). He suggests that ultimately this inclusivity brought degeneration in the quality of discourse, but he contends that both requirements of democracy and the nature of contemporary large-scale social organization mean that is it impossible to progress today by going back to an elitist public sphere. » (p. 3)
Essentiellement, les critiques qui seront formulées par les divers auteurs traitent de l’un ou l’autre de ces aspects par exemple la place des femmes, l’exclusion des pauvres, des gens racisés, le rôle de manipulation des médias, les mouvements culturels et les cultures minoritaires et le caractère national de l’espace public d’Habermas.
De toutes les contributions, il faut garder en tête que l’un des défis de la lecture et de la réponse à la thèse d’Habermas est de garder pleinement à l’esprit la constitution à deux volets d’Habermas de la catégorie de la sphère publique comme simultanément sur la qualité de la forme de discours rationnel critique et la quantité, ou si vous préférez, son ouverture à la participation populaire.
Ces divers essais donnent un éclairage à la théorie de l’espace public et au concept d’opinion publique dans la mesure où les discussions des auteurs et leur dialogue avec l’œuvre d’Habermas cherchent à la fois à récupérer l’idéal durablement précieux de la sphère publique bourgeoise de sa réalisation historiquement contradictoire et partielle dans l’élaboration d’une théorie de démocratie délibérative.
Commenter (0)Deux auteurs dirigent ce recueil publié en 2004 intitulé : After Habermas. New perspectives on the Public Sphere. Dans le cadre d’une monographie de la collection de la Sociological review, ce livre rassemble des essais qui viennent dialoguer avec l’œuvre de Jürgen Habermas et le confronte à des critiques et le fait entrer en dialogue avec d’autres théoriciens comme Mikhail Baktin, Pierre Bourdieu, John Stuart Mill et Honneth. Les différents auteurs cherchent à dépasser l’œuvre de Jürgen Habermas en le confrontant à de nombreuses critiques qui lui ont été faites depuis les années 1980. Ils cherchent aussi à dépasser l’œuvre d’Habermas en la soumettant à de nouveaux phénomènes comme l’apparition d’Internet, les nouveaux mouvements sociaux et les questions d’identité et de justice environnementale.
Nick Crossley est un professeur de sociologie à l’Université de Manchester en Angleterre alors que Michael Roberts est professeur à l’Université de Londres en communication. Outre ces deux auteurs, on retrouve aussi parmi les auteurs de contributions dans ce livre : James Bohman, professeur de philosophie à l’Université Saint-Louis aux États-Unis, Gemma Edwards étudiante au doctorat au département de sociologie de l’Université Manchester, le canadien Michael E. Gardiner, professeur de sociologie à l’Université Western Ontario, le professeur Ken Hirschkop en littérature anglaise à l’Université de Manchester et Lisa McLaughlin professeure de communication et en études féministes à l’Université de Miami et de l’Université de l’Ohio.
On retrouve ainsi dans le chapitre 1 le texte de Gardiner sur la sphère publique, une confrontation des idées d’Habermas et de Baktin sous la plume de Hirschkop qui souhaite remettre en perspective la théorie de l’espace public d’Habermas en fonction des perspectives de Baktin sur les voix polyphoniques et le concept d’hétéroglossie qui consiste à l’existence de variétés différentes dans un même code linguistique. Dans un autre chapitre, Roberts nous livre la pensée de John Stuart Mill sur le discours libre en lien avec le concept dialogique de Baktin. Crossley nous fait part des liens entre la pensée d’Habermas et de ses différences en le faisant dialoguer avec Bourdieu notamment dans une analyse sociologique des publics. Gemma Edwards aborde la question des publics subalternes négligés par Habermas selon elle à partir de l’angle des mouvements sociaux alors que Lisa McLaughlin aborde pour sa part la question du genre, du concept transnational, en lien avec le concept d’espace public d’Habermas. Même chose avec la contribution de Bohman qui voit dans le développement d’Internet et des médias sociaux les germes d’un espace public transnational.
Je ne veux pas ici résumer la contribution de chaque thèse des différentes contributions. Disons pour en faire un sommaire exécutif que la thèse centrale de ce livre est que la pensée de Jürgen Habermas est toujours d’actualité pour les auteurs de ce recueil, mais que de nombreux éléments de sa théorie doivent être critiqués, revus ou encore mieux remis au goût du jour en fonction de nouvelles avancées théoriques d’autres auteurs mis en dialogue avec Jürgen Habermas.
Pour bien comprendre le défi que cherchait à relever ces auteurs, il faut lire ce qu’en disait en début de ce recueil les éditeurs Roberts et Crossley : « Le livre a été rédigé dans le but d’approfondir et d’étendre le projet Habermasian à la fois par un engagement avec Habermas et, plus particulièrement, par la considération d’autres théories et cadres qui nous offrent différentes façons de problématiser et d’explorer la sphère publique. » (p. 1)
Au fond, les auteurs font comme Habermas lui-même et que nous citent les auteurs : « La sphère publique moderne comprend plusieurs arènes dans lesquelles, à travers des documents imprimés traitant de questions de culture, d’information et de divertissement, un conflit d’opinions est combattu de manière plus ou moins discursive. Le conflit n’implique pas simplement une compétition entre diverses parties de personnes privées vaguement associées dès le début, un public bourgeois dominant entre en collision avec un public » (Habermas, préface de la seconde édition L’espace public, Payot 1992)
Ce qui fait dire aux auteurs que : « Le travail d’Habermas critique de nombreuses questions et soulève de nombreux problèmes en soi. Il y a des problèmes quant à l’adéquation des différentes interprétations faites d’Habermas et en fait aussi des alternatives proposées. Le débat continue… Dans le même esprit de dialogue, les contributions de ce volume cherchent à apporter de nouvelles perspectives et idées à la sphère publique. » (p. 18)
Un livre fort instructif pour qui veut se coltailler avec la pensée complexe d’Habermas sur l’espace public et ses principaux critiques qui ont adopté diverses approches pour enrichir ce concept.
Commenter (0)Dominique Wolton est un communicateur et chercheur réputé qui est directeur du Conseil national de la recherche scientifique à Paris. Docteur en sociologie, il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages et d’une centaine d’articles tout en étant un invité régulier de plateaux de télévision en France. Directeur de recherche au CNRS en sciences de la communication, il est spécialiste des médias, de l’espace public, de la communication politique, et des rapports entre sciences, techniques et société. Ses recherches contribuent à valoriser une conception de la communication qui privilégie l’homme et la démocratie plutôt que la technique et l’économie. Les recherches de Dominique Wolton explorent une dizaine de thèmes principaux : « l’individu ; la famille, les relations interpersonnelles ; le travail, la technique ; les médias, l’opinion publique ; l’espace public et la communication politique ; l’information et le journalisme ; Internet et le numérique ; l’Europe ; la politique, la culture, l’anthropologie ; la diversité culturelle et la mondialisation ; les langues romanes et les aires culturelles ; les rapports sciences-techniques-société ; l’information, la communication et l’épistémologie de la connaissance. » (Source : Wikipédia) Dans un article publié en 1992 dans la revue Hermès intitulé Les contradictions de l’espace public médiatisé, Wolton s’est intéressé à la question de l’espace public au 18e siècle.
L’espace public qui est né au 18e siècle a connu de nombreuses mutations depuis son apparition et dans la foulée d’une meilleure compréhension que nous en avons acquise à la suite de nombreuses études publiées sur le sujet. Dans cet article, Wolton cherche à comprendre ce que représentent ces changements à notre concept d’espace public pour la démocratie en lien avec le rôle prépondérant que peuvent y jouer les médias d’information. Dans l’article que nous avons lu, Dominique Wolton réfléchit : « aux caractéristiques théoriques de cet espace public contemporain, et notamment au rôle qu’y jouent les médias. » (p. 96) Il veut en examiner « un certain nombre de contradictions liées au fonctionnement de cet espace public élargi, caractéristique de la démocratie de masse. » (p. 96)
Cet examen, Wolton conclura à l’existence de dix contradictions majeures de l’espace public médiatisé élargi.
Pour Wolton, il est important de lire l’évolution du concept d’espace public à la lumière de ses caractéristiques où, affirme-t-il, « les liens symboliques sont beaucoup plus importants que les liens réels et concrets ». (p. 96)
Dans sa vision des choses, Wolton voit dans l’espace public médiatisé élargi une notion qui renvoie à « une société ouverte, urbanisée, dans laquelle les relations sociales sont marquées par l’organisation de masse, tant sur le plan du travail que celui de la consommation, des loisirs, de l’éducation. ». (p. 96) Il y voit une contradiction principale où nous devons gérer deux dimensions opposées : « une priorité accordée à tout ce qui facilite l’expression. L’identité, la libération de l’individu, plus que la personne d’ailleurs, et, en même temps, une société qui, sur le plan économique, politique et culturel repose sur l’échelle du grand nombre. » (P. 96) C’était d’ailleurs le thème principal de son livre intitulé L’Éloge du grand public. Pour l’auteur, le seul lieu pour gérer cette contradiction sans violence c’est par le biais de l’espace public médiatisé, lieu symbolique par excellence et où les médias jouent un rôle prépondérant dans une société démocratique de masse comme la plupart des sociétés occidentales. D’où son intérêt à mettre en lumière les principales contradictions de cet espace public médiatisé élargi afin d’en avoir une meilleure compréhension.
Il en ressort dix contradictions principales soit la tyrannie de l’événement, l’effet de bocal médiatique, la communication sans interdits, la standardisation, la personnalisation, l’identification de l’action et de la communication comme éléments en symbiose, la transparence, l’irénisme communicationnel, le village global et l’espace public sans frontières. Pour chacun de ces thèmes, Wolton nous expose les contradictions qu’il y voit à partir des caractéristiques de l’espace public médiatisé. Il n’est pas utile de débattre de chacun de ces thèmes dans le cadre de ce court compte-rendu qu’il me suffise de dire qu’à terme, Wolton note que la communication est devenue « … aujourd’hui la condition fonctionnelle et normative de l’espace public et la démocratie de masse, mais qu’elle ne peut à elle seule garantir la qualité du fonctionnement de cet espace public démocratique. Cet espace suppose aussi des valeurs politiques, qui sont relativement hétérogènes aux valeurs communicationnelles. » (p. 113)
Dans nos mots, Wolton trouve que l’espace public médiatisé de la démocratie de masse donne lieu à un nombre effarant de circulations de sujets et de débats, mais que les caractéristiques de cet espace rendent difficile la conciliation des valeurs ainsi exprimées dans l’espace public. En fait, il plaide pour que l’on puisse réconcilier espace public démocratique et espace public politique. Pour ce faire, il croit qu’il faut maintenir une saine distance entre ces éléments si l’on souhaite s’assurer du triomphe du modèle démocratique : « Le triomphe du modèle démocratique oblige à mieux distinguer ce que l’on souhaitait, au contraire, joindre hier. C’est à cette capacité à recréer une tension entre des valeurs complémentaires, mais structurellement antinomiques que l’on échappera à certaines dérives graves pour l’espace public médiatisé de la démocratie de masse. » (p. 113)
Enfin, il conclut que : « c’est pour préserver les conditions de fonctionnement d’un espace public élargi au sein d’une démocratie de masse largement médiatisée qu’il est souhaitable de maintenir, plus que par le passé, une différence de nature entre information, communication et action politique. » (p. 113)
L’espace public médiatisé décrit dans cet article par Dominique Wolton est le résultat concret de ce qu’anticipait Jürgen Habermas lorsqu’il évoquait la dégénérescence de l’espace public bourgeois et de la féodalisation du monde vécu dans une sorte de vassalisation. Les caractéristiques que craint Wolton dans cet article sont à mes yeux une manifestation concrète de ce qu’avait imaginé Habermas tout comme ce que nous a décrit Bagdikian dans le phénomène de la concentration de la propriété des médias et la convergence. L’espace public que je vais étudier dans ma thèse de doctorat soit la fin du 20e siècle sera un peu marqué par les phénomènes décrits dans ce texte.
Commenter (0)Françoise Knopper, professeur à l’Université de Toulouse et spécialiste en études germaniques et André Combes, professeur à l’Université Toulouse2-Le Mirail et spécialisé lui aussi en études germaniques ont dirigé un recueil d’articles sur l’opinion publique paru aux éditions l’Harmattan en 2006 intitulé L’opinion publique dans les pays de langue allemande.
Ce livre est le résultat du 37e congrès de L’Association des Germanistes de l’enseignement supérieur organisé à l’Université de Topulouse2-Le Mirail du 24 au 26 mai 2004. Plus de 30 personnes ont collaboré au présent ouvrage. Les thèmes abordés varient, mais toutes les contributions ont pour point d’appui l’examen des mutations de l’opinion publique à travers des approches croisées faisant appel à la littérature, l’histoire, la politique, la sociologie, l’analyse des discours, l’histoire des idées et la sociologie. Les contributions des divers auteurs présents dans ce recueil s’inscrivent dans les sentiers de l’œuvre maîtresse de Jürgen Habermas.
Dans l’avant-propos de ce livre, les auteurs situent bien le sujet : « Si les articles publiés ici ne remettent pas en cause l’apport essentiel des travaux de Jürgen Habermas et de son maître-ouvrage Satrukturwandel der Öffentlichkeit (1962) – les fondements théoriques d’une dialectique de l’espace public, notamment la mise en relief du rôle fondamental de la communication et de ses rapports à la politique – les changements qui sont intervenus dans l’espace public et qui ont précisément été provoqués par la communication, incitent à prendre ne compte les objections que l’on a pu faire à Habermas et à réfuter l’homogénéité de son modèle public. »
Dans ces contributions, les auteurs interrogent essentiellement l’approche philosophique sur la nature et la réalité de l’opinion publique. Ils soulignent l’ambiguïté de ce concept qui associe privé et public et voit dans le développement historique que cette ambiguïté public-privé s’est progressivement transformée en citoyenneté dans le cadre de l’État-nation au 19e siècle. Les auteurs voient aussi la dégénérescence de cette opinion publique sous le développement des forces économiques et sociales : l’opinion publique a tendance à se déliter puisqu’elle est liée à un espace commun (national), mais prétend aussi à une validité universelle : « L’État exerce de moins en moins son rôle de gérant du consensus au profit de technologies qui entretiennent l’illusion de la citoyenneté universelle, mais, en fait, remplacent la norme par l’expression arbitraire individuelle. » (p. 7)
En fait, la constitution d’un espace public peut bel et bien être attestée en Allemagne et dans les pays de langue allemande. Un espace public qui s’est constitué autour du pouvoir du prince contre les féodaux. Puis, ce même espace public aura permis l’émergence d’un espace public bourgeois de démocratisation et de libéralisation et surtout de la naissance d’une pluralité d’opinion. C’est ce processus qu’ont étudié les auteurs dans ce recueil d’articles dans la foulée des travaux d’Habermas, ils montrent « comment la publicité bourgeoise organise son opinion publique sur la base certes idéale, voire illusoire, d’un consensus issu des échanges communicationnels du plus grand nombre avec une concurrence et une lutte permanente d’individus et de groupes sociaux pour s’y assurer une position dominante. » (p. 8)
Pour Alexandre Lige et Oskar Negt par exemple, « cette forme d’espace public bourgeois est une forme rétrécie et substantialisée d’espace public. C’est pourquoi ils favorisent l’élargissement de ce concept pour en élargir la portée en fonction de l’apparition d’espaces publics de contestation, de grèves et d’actes de résistance qu’ils qualifient de “sphère publique prolétarienne”. » (p. 16)
Pour Gérard Raudet, « L’opinion publique est une fiction fédératrice qui crée la figure fictive d’un individu collectif, un Nous imaginaire. J’ai en ce sens proposé d’appliquer à l’opinion publique un concept forgé par Louis Quéré : celui de “tiers symbolisant”. On peut aussi recourir à la conceptualité habermasienne et concevoir l’opinion publique comme la médiatisation – c’est-à-dire la rationalisation par mise en discours – des règles d’actions, d’usages établis, de concepts et de significations préexistants dans le monde vécu, mais à la condition de bien voir deux choses : que la médiatisation, en les thématisant leur donne en même temps réalité, ensuite que cette réalité est d’une nature bien particulière puisqu’elle est la fiction discursive de l’accord qui se dégage de leur mise en débat. » (p. 21)
Finalement, le même auteur donne une conclusion intéressante de ce sujet en comparant Bourdieu et Habermas : « Quand on étudie la sphère publique politique s’offrent dès lors deux options : l’une que je qualifierais pour faire vite de bourdieusienne, l’autre d’habermassienne. L’une insiste sur la dépendance qui lie les opinions publiques aux rapports de pouvoir des classes, l’autre sur le moment utopique que constitue la constitution d’un consensus. Ces deux options ne s’excluent pas, elles sont parfaitement complémentaires. Elles se rejoignent sur le point fondamental : la réalité fictionnelle de l’opinion publique. » (p. 22)
Pour conclure avec une autre citation qui poise une question fondamentale à la mise en œuvre du concept d’opinion publique, parlons maintenant du lien entre celle-ci et les intermédiaires que constituent les médias : « Reprenons la question posée au début de notre exposé, à savoir : comment se forme l’opinion publique : d’elle-même ou par manipulation ? … Nous constatons d’abord que cette opinion publique ne se forme pas d’elle-même dans le cas présent, il faut un vecteur, un intermédiaire entre l’Information à transmettre et le public visé. Elle ne naît pas non plus par manipulation, du moins pas ici. » (p. 370-371)
Ce recueil d’articles est fort instructif. Il s’inscrit dans la veine de l’historisation d’un concept. Ici, il est appliqué à de nombreux exemples l’opéra, la presse, la propagande, la publicité, les récits de voyage, les feuilletons, les comédies dramatiques, le cinéma. On prend conscience en lisant ces diverses contributions que le concept d’Habermas et ses critiques ont donné naissance à une littérature scientifique sans fin. Ce concept d’Habermas permet d’aborder de nombreux sujets dans un éclectisme impressionnant. En soi, le champ de l’étude de sphère publique et d’opinion publique pourrait en eux-mêmes devenir un champ d’études disciplinaire.
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Jusqu’à maintenant, l’actualité a été envahie par la COVID-19. Maladies, moyens de propagation, mesures à prendre pour s’en prémunir, décisions des gouvernements, confinement, nombre de décès, les recherches médicales pour trouver un vaccin ou un remède, histoires tristes des conséquences et tutti quanti…
Hier, en écoutant Tout le monde en parle, Louis Morisette nous a fait voir tout un pan un peu oublié, celui de la production culturelle et des conséquences de la pandémie pour des causes comme l’autisme. C’est un véritable raz de marée que nous allons tous vivre lorsque nous aurons fait les comptes et mesurer les conséquences de cette crise sanitaire.
On dit souvent qu’il y aura un avant et un après-crise de cette pandémie. Cela est vrai, mais de quoi sera fait demain ? Là est toute la question. Nous sommes tous invités à puiser dans notre imagination et notre créativité pour innover et trouver de nouvelles solutions à nos vieux problèmes.
J’ai beaucoup aimé par exemple l’idée de la salle de spectacle virtuelle évoquée par Louis Morisette. Une salle de spectacle virtuelle où nous pourrons vivre notre culture en payant pour le travail de nos artistes sans pour autant être vampirisés par les GAFA de ce monde. Une excellente idée qui mérite notre appui.
Crise de pandémie ou non, nous devons réapprivoiser la vie en société. Il faudra refaire société ensemble. Il faut redémarrer l’économie, repenser l’école, assurer la santé et la sécurité de la population et redonner la place à nos droits et à nos libertés. L’un des aspects de ce virus c’est qu’il est liberticide.
Nous entamons notre sixième semaine de confinement. Les cas de décès sont élevés, peu de nous sommes immunisés contre le virus et pourtant bientôt la vie devrait reprendre. C’est là tout un défi que nous aurons à relever ensemble…
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